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Aïcha Bouabaci, écrivaine, à L'Expression

«Saïda est une ville très spéciale»

L' Expression: Les secrets de la cigogne, votre nouveau livre, est-il autobiographique?
Aïcha Bouabaci: Mon nouveau livre est né en 1997 mais il vient d'être publié seulement, non parce qu'il ne trouvait pas un éditeur mais parce qu'il est devenu dans mes traditions de ne pas libérer mes écrits tant que je ne les ai pas revus selon les circonstances, le travail de mémoire toujours actif, le travail de topographie sur le tapuscrit. Mais depuis la fin des années 1990, l'ensemble de ma vie est devenu tellement difficile à gérer que je ne savais plus quel travail remettre en train pour m'occuper des autres. En fait, tout ce que je produisais était important pour moi car il collait à la réalité du moment; une réalité toujours grave, difficile, dérangeante.... Qu'il s'agisse de questions professionnelles, familiales ou sociales. Je ne vivais pas chez moi, dans les conditions confortables que j'ai toujours connues, mais dans un territoire étranger, régi par des lois strictes, pérennes, réconfortantes pour les siens alors que dans mon pays on vivait dans le sang et dans la peur. Alors, mon travail d'écriture suivait ces chemins désordonnés, m'occupant d'une histoire puis d'une autre dans jamais en finir aucune. Il reste plusieurs tapuscrits qui attendent de voir le jour... Je n'écrivais pas pour moi, je n'ai jamais écrit pour moi seulement. J'écrivais toujours pour poser une pierre à un édifice qui concernait tout le monde. Ainsi en est-il du présent livre Les secrets de la cigogne. Ce n'est pas seulement mon autobiographie, mais c'est aussi celle de tous ceux qui peuplent mes souvenirs. Ce n'est pas un secret de la cigogne mais plusieurs, attachés à plusieurs vies.

La colonisation occupe une part importante de votre récit, pouvez-vous nous en dire plus?
Je suis née juste au moment de la fin de la Seconde Guerre mondiale et les massacres de mai 1945, perpétrés par la force coloniale, et à partir desquels se sont forgés la conscience nationale et le programme d'une résistance armée à grande échelle. Je suis donc née pendant la colonisation; j'ai vécu dix-sept ans sous l'autorité française dont huit ans dans une famille qui l'a combattue sans discontinuité. Comment ne pas parler alors de la colonisation et de sa fin en juillet 1962, à la suite du combat mené par le FLN/ALN, soutenu par tout le peuple algérien?

Quel est votre objectif en partageant vos expériences personnelles?
La vie que j'ai décrite et les vies que j'ai ressuscitées ne constituent pas pour moi une ou des expériences personnelles. Ce sont des histoires inscrites dans l'Histoire d'un pays, d'une nation. J'ai obéi à un devoir et non à des objectifs personnels. Ressusciter la Mémoire dans tous les domaines. Rappeler ce que fut le pays sous domination coloniale, sa vie, les us et coutumes, le chapelet des traditions. Aujourd'hui, nombreux sont les compatriotes qui découvrent certaines histoires, certaines coutumes, des pans d'idiomes.

Ecrire ce genre de récit est-ce une auto-psychanalyse pour vous ou est-ce autre chose?
Je n'écris pas pour m'auto-psychanalyser mais pour conter, narrer, raconter des faits vrais ou des histoires imaginaires fondées toujours sur des éléments réels. Je dispose d'une grande imagination et j'aime en user. Raconter fait partie d'un héritage familiale dont j'ai tiré beaucoup de joies.

L'un des messages contenus dans votre livre consiste à faire savoir que parfois les obstacles de la vie et ses difficultés peuvent être une source de puissance importante pour réaliser ses rêves même quand le contexte était des plus défavorables, est-ce vrai?
Je pense avoir toujours rencontré des obstacles dans ma vie, à partir de mon immersion dans la vie professionnelle. J'étais jeune et pétrie d'idéaux. J'ai vite découvert l'égoïsme des personnes, leur duplicité et leur volonté d'effacer les gêneurs. Je n'ai pas beaucoup raconté mes problèmes. J'ai fait surtout de la résistance. Une résistance qui devient forteresse derrière laquelle je bâtis ce que me permet d'avancer. Le rêve et sa force de création.

Saïda est votre région natale. Peut-on savoir quelle place lui réservez-vous dans vos écrits et que représente-t-elle pour vous?
Saïda est ma ville natale et celle de ma famille. Elle est très spéciale pour moi. Je crois en l'âme: celle d'un lieu, d'un être, humain ou non, d'une pierre, d'une source. Saïda a une âme habitée par la mémoire d'un preux chevalier, prince et poète, celle de tous les grands Résistants, celle des poètes. Une âme toujours entretenue par les sources qui l'abreuvent. J'ai vécu heureuse dans cette prospère et coquette ville et je continue d'y vivre heureuse chaque fois que j'y séjourne même si la ressemblance avec les lieux et les êtres de jadis s'estompe. Saïda, érigée chef-lieu de préfecture en 1959, était devenue une immense wilaya: malheureusement, elle est rognée régulièrement: pour quelles raisons inavouées et peut-être inavouables? Elle est peut-être éloignée comme la chante le poète, mais elle reste riche de ses potentialités culturelles bien établies. Éloignée? Pourtant, dans les rues d'Alger, durant l'été, on n'entend que son nom matérialisé par l'eau minérale proposée, qu'elle s'appelle Ifri, Lalla Khedidja... À Saïda, où survit le souvenir des héritiers de grande tente, l'accueil restera toujours grand et je l'aime pour cela aussi. Son nom m'inspire et c'est cela l'essentiel.

Vous écrivez depuis longtemps, peut-on savoir comment est née cette passion?
J'ai écrit dès l'enfance. Des poèmes ïabord. Une «passion» précoce? Pour me dire, pour raconter un événement, parler de mon entourage... L'écriture, pour moi, depuis cette époque, c'est matérialiser l'écho de son âme. Dans le silence. Dans la solitude. Ma façon d'exister. Pas une passion. Ni un besoin. J'avais tenté de l'analyser autrefois. Cette faculté fait partie de moi. Il n'y a pas nécessité d'analyser. Est-ce qu'on analyse forcément nos autres fonctions vitales? Penser, respirer, se nourrir, vivre?

Qu'est-ce qu'être femme et écrivaine?
Qu'est-ce qu'être d'abord un être humain? De nos jours, la question se pose avec une telle désespérance! J'ai été une petite fille et une adolescente heureuse où, déjà, dans ma famille, on ne pratiquait aucune distinction entre une fille et un garçon: j'avais une place privilégiée au sein de ma famille protégée par mes parents et par mes deux frères. Parmi les voisins, je jouissais de la même considération.

Parlez-nous un peu de vos lectures de jeunesse...
J'ai commencé à lire les grands noms de la littérature universelle, spontanément, dès le collège: parce que c'étaient des livres, des vrais, avec une belle reliure souvent des livres d'auteurs dont on parlait à l'école ou ceux que je contemplais dans les librairies. Pour les petites bourses, la connaissance des livres se faisait également à travers l'institution des prêts dans un petit kiosque tenu par un Européen, sur la rue principale, près de la place. On payait 20 centimes par livre; le libraire inscrivait nos nom et prénom sur un cahier; la confiance était totale. Pour mon frère Hadj- mon mentor dans ce domaine, dès l'enfance, et moi, les locations se faisaient à une allure très rapide! Le système des prêts s'exerçait aussi entre les adolescents eux-mêmes. Sans problème.

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