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Madjid Chérifi, écrivain, à L'Expression

«Mouloud Mammeri est un monument culturel»

Dans cet entretien, l'écrivain et historien Madjid Chérifi parle de ses trois livres, des personnages qu'il y évoque, de culture, d'histoire, de religion, etc.

L'Expression: Pouvez-vous vous présenter aux lecteurs de L'Expression?
Madjid Chérifi: Je suis né à Azazga en pleine guerre le 8 janvier 1956. C'était la grève et il n'y avait pas assez de nourriture à acheter à ce moment-là. Mes parents m'ont raconté qu'il y avait aussi à cette date, près de 50 cm de neige au village. Je me souviens que j'étais inscrit à l'école primaire d'Azazga en 1961 et qu'on avait comme instituteur un militaire français. Les principaux souvenirs qui étaient gravés dans ma mémoire pour la période d'avant l'indépendance étaient l'annonce de la mort du cousin Ali au maquis qui avait bouleversé ses parents et la famille ainsi que la vue quotidienne d'un sous-officier de l'armée française qui venait appeler mon grand-père maternel Si Mokrane dit Monoprix chaque soir pour l'emmener et le torturer au «2ème bureau» situé dans le CEM actuel d'Azazga car il était dénoncé pour aide aux maquisards du FLN. Par la suite, c'était le souvenir du cessez-le-feu le 19 mars 1962 et la grande joie de l'indépendance et les retrouvailles de la famille avec la plage à Azzefoun. Ma scolarité s'est déroulée jusqu'au lycée Chihani d'Azazga en seconde maths puis en interne au lycée Émir Abdelkader à Alger jusqu'au bac maths en juin 1974. J'ai fait l'université d'Alger puis l'IAE de Grenoble en France. Je suis un ex-P-DG de l'EPE SPA Agenor de 2007 à 2013 puis gérant de la Sarl Neofar à Ouarkik (Azazga) de 2014 à 2018. Puis consultant indépendant en gestion et redressement d'entreprise jusqu'à ce jour.

Comment est né votre intérêt pour l'histoire et la poésie ancienne?
J'aime la lecture et la littérature depuis mon jeune âge, notamment pour l'histoire et les biographies historiques. Cet intérêt a été accru par le contexte et l'ambiance familiale et les coutumes et traditions kabyles que j'aie vécues dans ce cadre et qui m'avaient porté naturellement à accorder un grand intérêt aux récits familiaux, notamment sur le vécu de nos ancêtres. C'est là où je me suis intéressé en particulier à l'histoire algérienne et du Maghreb en général depuis la préhistoire jusqu'à la période moderne en passant par les Almoravides, les Almohades, le royaume de Koukou, l'époque turque et le colonialisme français. Partant de ce que m'avait dit mon grand-père maternel Si Mokrane, que nos frères, c'est-à-dire les frères des gens de notre village de Cheurfa n'bahloul se trouvent à Ivahlal du côté de Tazmalt, j'avais recueilli auprès d'un vieux de ce village une copie d'un manuscrit ancien de l'arbre généalogique du Ouali essalih sidi Bahloul Ben Assem. Et c'est à partir de là que j'avais entamé ma première recherche sur l'histoire de notre village originel qui avait abouti à mon 1er livre publié en 2005 à compte d'auteur: «Cheurfa n'bahloul et les Chorfas du Maghreb». Par la suite j'avais publié en 2013 le roman historique: «Les racines d'un Kabyle de Cheurfa Nath Ghovri» qui raconte la vie romancée de l'ancêtre de la famille Cherifi d'Azazga, décédé en 1929 lors de son 4ème pèlerinage/du Hadj à La Mecque. Le 3ème livre qui nous intéresse en particulier, aujourd'hui, et publié récemment en octobre 2022, porte aussi sur la vie romancée d'un autre ancêtre illustre de la famille: le «Cheikh Mohand Ouali de Takaba, le maître du cheikh Mohand OulHocine».

Vous publiez un livre sur Cheikh Mohand Ouali de Takaba, qui est ce personnage?
Ce grand personnage de l'histoire algérienne du XIXe siècle est un grand moqadem de la tariqa Rahmanya, enseignant à la zaouïa de sidi Abderrahmane d'Illoula en Grande-Kabylie durant la 1ère moitié du XIXe siècle. Résistant au colonialisme français, il avait été emprisonné et enchaîné dans une cellule fermée. Le récit mythique rapporte qu'on l'avait retrouvé libre de ses chaînes le lendemain matin en dehors de la cellule en train de faire ses prières. Je me suis intéressé à ce personnage parce que le grand écrivain Mouloud Mammeri l'a cité comme le principal maître du cheikh Mohand Oulhocine dans son livre «Yenna-as cheikh Mohand -le cheikh Mohand a dit» et parce qu'aucun auteur ne lui avait consacré une biographie jusqu'à ce jour. Mon intérêt pour ce travail avait été soutenu par le récit familial qui a rapporté notre lien de parenté du fait que sa fille Kertsouma avait été mariée à un enseignant Meghiraoui du village de Meghira à côté de Mekla, et que trois des filles Meghiraoui avaient été mariées aux trois fils de notre ancêtre El hadj Saïd Nath Chérif.

Vous le présentez, même sur la couverture de votre livre, comme étant le maître du célèbre Cheikh Mohand Oulhocine. Comment se fait-il que cette information très importante soit très peu connue de même que le personnage de Cheikh Mohand Ouali de Takaba?
L'information avait été rapportée dans le livre du célèbre écrivain et anthropologue Mouloud Mammeri. D'autres écrivains n'ont fait que citer le cheikh Mohand Ouali de Takaba en parlant surtout du cheikh Mohand Oulhocine. Beaucoup ignoraient même où était situé exactement le village de Takaba ou Taqaba. L'intérêt porté au cheikh Mohand Oulhocine s'explique par sa notoriété du fait qu'il recevait énormément de monde après surtout 1871 et des notes étaient prises par certains de ses Khouans ou récits oraux réécrits à partir de ses dires et cisains. Quant au cheikh Mohand Ouali de Takaba, des récits oraux subsistent à ce jour rapportant les dires et faits de cet important personnage en plus de ce qu'avait révélé ma recherche entamée depuis 2005 sur ce qu'avait rapporté le cheikh Mohand Ouvelqacem de Boudjellil (un autre élève du cheikh Mohand Ouali, un aussi grand personnage de la Rahmanya et Khalifa du Cheikh El Haddad après 1871) dans son «Tabsira fi ilm elkiraate». Mais il est certain que beaucoup d'informations historiques, notamment les écrits ont été perdus avec les destructions coloniales, notamment de la guerre d'indépendance comme le bombardement du village de Takaba et de la zaouïa de sidi Abderrahmane d'Illoula en 1957.

L'écriture de ce livre a nécessité énormément d'efforts et de temps. Comment avez-vous procédé pour mener votre recherche, la documentation et les témoignages ont-ils été faciles à dénicher?
La recherche a été difficile du fait du manque de sources écrites diversifiées. Mais la volonté d'aboutir était là, soutenue par les ressources issues des écrits entre autres de Mouloud Mammeri et Alain Mahé et d'El Boudjellili, en plus des sources orales -récit familial, récits des vieux de Cheurfa et de Tifrit nath Oumalek,....- Le contexte historique de la première moitié du XIXe siècle est issu des sources historiques des écrivains musulmans et des français accompagnateurs de la colonisation.

Mouloud Mammeri a évoqué ce personnage, pouvez-vous nous résumer ce qu'il a dit globalement?
Mouloud Mammeri a souligné l'importance et l'influence du cheikh Mohand Ouali de Takaba par rapport au jeune Mohand Oulhocine. Il avait rapporté surtout le dialogue entre le maître et l'élève et la célèbre sentence: «Tu seras le flambeau des terres et la clé des portes!» Le mérite du monument culturel qu'est Mouloud Mammeri est qu'il avait pu extirper de l'oubli beaucoup de notre poésie ancienne et de l'histoire de nos grands personnages et de leur vécu. Son livre «Yenna-as Cheikh Mohand» est aujourd'hui le livre de chevet de nombre de nos compatriotes et de lecteurs à travers le monde.

Vous évoquez deux localités: Cheurfa N bahloul et Boudjellil, quel en est le rapport avec le personnage que vous évoquez?
Cheurfa n'bahloul est le village où cinq des petites filles du cheikh avaient été mariées: trois chez les Cherifi d'Azaghar-Irghane, deux à Tinkicht. Et le récit oral a rapporté que le Cheikh avait vécu un certain temps à Tinkicht-Cheurfa. Cheurfa était aussi le village ami de son élève Mohand Oulhocine et où ce dernier avait ses beaux-parents à Fliki. L'autre élève du cheikh est le célèbre cheikh Mohand Ouvelqacem de la Zaouïa de Boudjellil un des khalifas du cheikh Aheddad après la révolte de 1871. Les zaouïas de Boudjellil et Cheurfa n'bahloul sont toutes les deux de la tariqa Rahmanya.

Comment se manifestait l'amitié qu'avait Cheikh Mohand Ouali pour les pauvres?
La solidarité et la justice sociale sont très ancrées dans les traditions algériennes et maghrébines de l'époque avant et durant la colonisation française. Le cheikh et selon les récits oraux prodiguait gratuitement pour tous, ses connaissances et son savoir. C'était beaucoup plus une fraternité entre pauvres qu'une amitié pour les pauvres, en tenant compte de la situation difficile que vivait toute la société de l'époque. En outre, le terme de «pauvres» a une consonance particulière du point de vue du soufisme et des awliya salihine.

Vous êtes auteur d'un livre sur l'histoire du village Cheurfa d'Azazga, pouvez-vous nous en parler?
Oui, c'est ma première recherche en histoire. Je me souviens que j'étais deux ou trois années avant 2005, abonné presque chaque semaine à la Bibliothèque nationale et je parcourais en même temps en long et en large les différentes zaouïas, notamment en Kabylie du Sébaou et de la Soummam. C'était très passionnant. Certains m'avaient critiqué parce que j'avais parlé surtout sur l'Adhroum des Ath Sadek du village. Par la suite, j'avais tenu compte de cela, en parlant plus des autres Adhroum dans mon second livre consacré à El Hadj Saïd Nath Chérif. C'est vrai que tout travail de ce genre ne peut pas être parfait. Surtout quand les sources écrites manquent énormément. J'avais tenu quand même, à annexer dans ce même livre, «les généalogies des Chorfas du Maghreb» de Giacobetti.

Qu'en est-il de votre livre sur El Hadj Saïd Nath Chérif?
C'est un roman historique et biographique sur la vie du patriarche de la famille Cherifi d'Azazga. Il était extraordinaire. Il avait fait quatre fois le Hadj de La Mecque et certaines fois en caravane: ils partaient pour une année, 6 mois à l'aller et 6 mois au retour. La veille du quatrième pèlerinage, il avait réuni toute sa famille, grands et petits, et il leur avait demandé de prier pour qu'il décède dans les Lieux saints. Ce qui arriva. Son compagnon, un vieux de notre village avait recueilli sa ceinture contenant une pièce en or et une autre en argent, lorsqu'il était tombé. Que Dieu l'honore dans Son vaste paradis. Il avait comme grand ami quelqu'un des Ibahriyène en compagnie duquel il avait accompli presque tous ses Hadj de La Mecque.

Comment expliquez-vous que des personnages kabyles anciens comme Cheikh Mohand et Si Moh Ou Mhand aient marqué à ce point la société kabyle?
Beaucoup de personnages ont marqué à leur manière la société kabyle dans les domaines culturel et social, mais aussi religieux, scientifique, politique ou militaire. C'est vrai que les deux personnages que vous avez cités ont marqué particulièrement la société kabyle. Cheikh Mohand était quelqu'un que tout Kabyle de l'époque voulait voir, entendre et connaître. Parce qu'il connaissait très bien la société kabyle, avec ses villages, ses zaouïas, ses cheikhs, ses familles qu'il avait côtoyées depuis sa jeunesse, parce qu'il avait appris à accueillir, écouter, à soulager, à aider, à apporter de la sagesse dans les différends, tout le monde voulait sa proximité. Et tout le monde accourait chaque jour de tous les endroits et régions pour le voir à Taqa Nath Yahia. Sa science était orale et d'un caractère soufi. Il l'avait apprise auprès de ses cheikhs. Mais il lui avait donné grâce à Dieu, une tournure et un impact important qui avaient porté dans la société et jusqu'à nos jours. Si Moh ou Mhand est plutôt connu pour sa poésie. Il était un poète errant. Ses poèmes ont été inspirés par les hauts et les bas vécus dans sa vie et les impacts induits par l'environnement de la colonisation. La société kabyle a été d'une certaine façon particulièrement touchée et émue par le sens dramatique et parfois beau de ses vers.

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