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Mohamed Abdallah, romancier, À L'Expression

«Kateb Yacine est une figure centrale de notre littérature»

Dans cet entretien, Mohamed Abdallah, l’un des plus jeunes écrivains algériens et lauréat du Grand prix littéraire Assia-Djebar (2022), auteur de quatre romans édités, nous fait revisiter l’œuvre de Kateb Yacine à la veille de la commémoration du 33ème anniversaire de son décès.

L'Expression: Que représente Kateb Yacine à vos yeux?
Mohamed Abdallah: Il est à la fois une figure centrale de notre littérature et l'incarnation d'une flamme rebelle, inextinguible et qui brûla à travers ses écrits autant que son engagement. Kateb, l'homme, est difficilement dissociable de Kateb l'écrivain: à travers ses mots, on peut directement sentir battre le coeur d'un peuple tour à tour meurtri, tourmenté et déterminé à arracher sa liberté. Sa plume a manié l'universel, a exploré les confins de l'Asie, mais a aussi narré la ville de Constantine avec une adresse rare. En somme, Kateb Yacine a offert à des générations de lecteurs un univers dense, protéiforme et où chaque exploration renferme la promesse d'une aventure. Il vivait intensément les luttes de son époque, bravait les dangers autant que les conventions littéraires. J'invite, par ailleurs, tout lecteur curieux, cherchant à saisir, non, à concevoir la portée de l'écriture katebienne à se familiariser avec la description de Constantine qu'il offre au coeur de Nedjma. On y sent une vision épique traverser l'esprit de l'auteur, être condensée en un torrent de mots. Je parle de torrent; ne pensez pas que Kateb perd en subtilité ce qu'il gagne en puissance dans cette description. On assiste au contraire à une succession de métaphores finement étudiées, de références historiques soigneusement choisies, de comparaisons aussi audacieuses que le caractère de leur auteur. Ce n'est pas à un simple portrait de sa ville natale que se livre Kateb Yacine: il déploie une véritable symphonie littéraire au service de sa quête.
Comment avez-vous découvert Kateb Yacine pour la première fois?
C'est au milieu de mon adolescence, suite à une recommandation faite par mon professeur de français au collège d'El Maqqari, à Tlemcen, que j'ai pour la première fois croisé la plume de Kateb Yacine, telle qu'elle s'exprime dans «L'homme aux sandales de caoutchouc». Je dois avouer que son écriture ne me fut pas aussi facile d'accès que celle de Dib, Feraoun ou Djebar, dont les univers, bien qu'extrêmement riches, sont, par certains aspects, plus facilement apprivoisés que celui de Kateb. Découvrir Kateb Yacine, c'était pour mon esprit juvénile comme gravir un petit mont: en somme, c'était une entreprise à laquelle on se prépare soigneusement et pour laquelle il valait mieux avoir du souffle! Mais, une fois parvenu au sommet, on s'aperçoit que le jeu en vaut mille fois la chandelle. Il y a un autre aspect à prendre ici en compte: ces difficultés à rentrer dans l'oeuvre de Kateb ne sont pas un handicap, une limite qui restreindrait l'intérêt pour ses écrits à une petite élite littéraire aguerrie. Au contraire, mettre entre les mains d'un jeune lecteur un ouvrage de Kateb, c'est comme lui confier le plus stimulant des jeux, l'inviter à assembler par lui-même un puzzle fascinant dont les pièces viennent des quatre coins du monde. Kateb a su capturer l'essence des luttes vietnamiennes, algériennes, et par-dessus tout, l'unité des combats contre les injustices.
Pour vous, que représente le roman Nedjma pour la littérature algérienne?
Nedjma est, à mon sens, un roman majeur de la littérature algérienne et plus généralement maghrébine. Stylistiquement, ce roman explore un mode d'expression jusqu'alors largement inédit. Plutôt qu'un récit linéaire et relativement facile à suivre, Kateb Yacine nous propose une sorte de labyrinthe narratif, où les discontinuités, bien plus que de simples jeux esthétiques, servent à enrichir l'oeuvre. Il y a donc un écho entre la structure interne du roman et sa place dans l'histoire de la littérature algérienne: il s'agit d'un point de rupture majeur et influent pour notre scène créatrice.
En quoi réside le plus de l'originalité de Nedjma?
Outre l'aspect stylistique que je viens d'évoquer, je dirais que la capacité de Kateb Yacine à mêler la réalité et les aspirations de son peuple à une atmosphère quasiment mythique est absolument remarquable. Il prend aussi à contrepied l'idée selon laquelle l'écriture moderne se devrait d'être épurée, dénuée de références historiques ou de supposées «fioritures» dans la narration. Dans Nedjma, Kateb mystifie tout en révélant des vérités profondes.
Est-ce que l'influence qu'a eue Faulkner sur Kateb Yacine, à elle seule, suffit pour expliquer le fait que ce dernier ait réussi à écrire un roman aussi dense que Nedjma?
Absolument pas. Certes, le lien littéraire entre Faulkner et Kateb Yacine est puissant: tous deux ont cherché à repousser les limites de l'écriture romanesque après en avoir maîtrisé les codes classiques, tous deux ont cherché à saisir par leurs mots brillants l'expérience des conflits traversant leurs sociétés. Néanmoins, il est impossible de résumer l'oeuvre d'un auteur aussi important que Kateb à l'influence d'un prédécesseur, aussi illustre soit-il. D'abord, le sud américain dont provient Faulkner et qu'il fait vivre dans bon nombre de ses ouvrages, est géographiquement, historiquement et culturellement éloigné du Constantinois qui a irrigué magistralement l'imagination de Kateb. Ensuite, le propre des auteurs de génie, et Kateb en est assurément un, c'est de trouver un souffle propre tout en se nourrissant des influences multiples les ayant précédés. De la même manière que Faulkner fut influencé par James Joyce sans être subsumé par celui-ci, Kateb a su trouver sa place dans la littérature mondiale.

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