L'Expression

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Kaouther Adimi, écrivaine, à L’Expression

«Je questionne le pouvoir de l’écrivain»

Toujours un plaisir incommensurable d’échanger avec cette écrivaine, plusieurs fois distinguée. Qui ne cesse de grandir en maturité littéraire. Samedi, elle était conviée à la rencontre de son public au niveau de la librairie l’Arbre à dires, afin de parler de son dernier roman, publié chez Barzakh, «Au vent mauvais», elle qui dit en préparer déjà un nouveau… l’occasion nous a été donnée de ne pas rater ce rendez-vous avec cette grande romancière qui a encore beaucoup de choses à dire, à imaginer et à écrire….

L'Expression: Dans votre dernier roman «Au vent mauvais»publié aux éditions Barzakh, un écrivain est amené à écrire un livre en s'inspirant de son vécu, de personnes réelles qu'il a connues jusqu'à créer un malaise au sein de ce couple. Est-ce que le but, de par ce conflit, est de questionner le rôle ou plutôt le degré de responsabilité de l'écrivain et pourquoi ce dernier, dans votre livre, écrit- il en langue arabe? Est- ce fortuit ou pas?
Kaouther Adimi: C'était surtout la période des années 1970, dans l'histoire et l'écrivain qui écrit en langue arabe relève du premier roman en langue arabe pour l'Algérie. C'est un roman qui a une grande résonance. Il est plus accessible pour ce village, puisqu'en l'occurrence les personnages ne parlent pas français, notamment Leila. Le fait que ce soit en arabe permet une plus grande compréhension du sujet par les personnages en question et le fait que ce soit le premier roman de langue arabe lui donne plus de résonance dans le pays qui est nouvellement indépendant. Je questionne en tout cas le pouvoir de l'écrivain, pas son rôle, en même temps, je ne le juge pas, étant moi-même écrivaine, ayant usé de mon droit et de mon privilège d'écrire sur les gens, je ne lui jetterai pas la pierre. Mais, je trouvais intéressant de questionner l'histoire dans l'histoire, celle d'un homme qui va écrire sur ses amis, sur ce que cela fait à ces amis et pourquoi ça les touche et ça les heurte. Je trouvais dans toute cette histoire-là, en tant qu'écrivaine, assez perturbant par moment de me retrouver à la fois à raconter les coulisses d'un roman, de voir comment les vraies personnes ont vécu cette histoire- la, tout en disant que finalement, c'est aussi ce que je suis en train de faire, donc c'est une sorte de mise en abyme.

Comprenez-vous que ça cela puisse déranger parfois?
La question est de savoir comment on fait les choses. Moi, j'ai choisi de changer les prénoms, ça me permettait justement d'inventer ce que je voulais. Ce qui est difficile quand on peint des vrais gens c'est qu'on ne peut pas tellement inventer. Par exemple, dans «Nos richesses», la partie que j'ai fictionnée et assumée telle quelle, c'est la partie moderne, celle d'aujourd'hui. Ryad n'existe pas. Par exemple, pour Edmond Charlot tout ce que j'ai raconté sur lui, est basé sur des archives, car j'ai fait un gros travail de recherche autour de lui etc. j'ai raconté l'histoire d'Edmond Charlot comme j'ai pu la reconstituer. Quand vous parlez de gens qui ont existé, vous avez une limite, celle de la vérité. Quand vous prenez des libertés, en faisant une fiction, même en vous inspirant de faits réels, je trouve plus simple de changer les prénoms pour me donner toute la liberté de l'écrivain de faire de la fiction et en l'occurrence, je me réclame d'une fiction. «Au vent mauvais» c'est inspiré peut- être d'une histoire vraie, mais qui n'est pas si exceptionnelle que ça. On a des pléthores d'exemples d'écrivains qui ont écrit des livres sur des gens et ces derniers l'ont mal vécu. Ce qui m'intéressais était de faire un roman, pas d'enquêter sur une histoire qui a pu exister. C'était plutôt de dire que cette histoire est fascinante, elle est intéressante et si, pour une fois, on s'intéressait à ce que ces personnages pouvaient vivre? Si on pouvait redonner vie à ces personnages- là, de l'ordre de la fiction et on pouvait raconter les coulisses de ces personnages? Les faire revivre? En plus ce sont des personnages du XXIe siècle, donc ils ont vécu la Seconde Guerre mondiale, la guerre d'Algérie etc. mon but était de retracer tout leur parcours, leur donner une existence, une seconde dimension, plus d'épaisseur, plus de richesse... C'est ce que j'avais envie de faire...

Une fiction tissée à partir d'une histoire plus ou moins réelle qui raconte un demi -siècle de l'histoire algérienne...
Dans «Nos richesses», l'histoire algérienne était partie prenante de l'histoire. C'était vraiment des chapitres très identifiés, avec l'usage du «nous», où je revenais sur les massacres du 08 mai 1945, sur octobre 1961, sur 1954 etc.Là, je voulais que l'histoire soit à hauteur d'homme. Elle existe parce que les personnages évoluent dans le XXIe siècle, mais elle n'est pas partie prenante de l'histoire. Elle est là, en bordure du roman, elle est en filigrane et permet en fait d'actionner des moments ou des péripéties pour les personnages. Elle est là pour ça. Dans «Nos richesses», elle existe comme un personnage à part entière, ce n'est pas le cas dans «Au vent mauvais». J'ai voulu une structure qui soit complètement romanesque, avec des personnages embarqués dans l'histoire. Cette dernière les malmène par moment, mais l'histoire n'existe pas à part entière. Je suis très attachée à la fiction pour être tout à faite honnête, parce que je ne suis pas historienne, je n'ai pas envie de faire des biographies. Ce qui m'intéresse, d'ailleurs, dans les histoires vraies, ce sont toujours les Blancs. C'est ce qui n'est pas raconté. Ce sont les trous. Dans Edmond charlot, ce qui m'intéressais c'était d'essayer de reconstituer quelque chose et ce que j'avais trouvé de fascinant est le fait que la libraire soit toujours là. Je suis passée quatorze mille fois dans cette librairie. Et me dire que ce lieu- là a perduré, malgré la faillite, la guerre d'Algérie, l'indépendance, le terrorisme... cela est extraordinaire. Ceci, ne concerne pas le biographe, mais le romancier, le fait de voir que des lieux peuvent survivre. Dans «Vent mauvais», ce qui m'intéressait aussi, ce n'est pas la réalité de la chose, car c'est presque anecdotique. Ce qui importait pour moi était d'imaginer ce que cela a comme impact, c'est de tisser des histoires autour de ça. Donc, pour moi, la fiction est un terrain de liberté et de création extraordinaire...

Le pouvoir de l'écrivain de donner vie...
Oui, l'écrivain a un pouvoir de reconstituer, d'inventer, d'imaginer, de créer..., c'est le pouvoir suprême. Celui de pouvoir créer une vie, alors, certes, c'est une vie factice, mais ce pouvoir- là, en tout cas, dans le roman il existe. Il est un des créateurs du monde...

D'où le fait qu'il a une grande responsabilité en disant les choses?
Il a une grande responsabilité en premier lieu envers ses lecteurs. Ce n'est pas tant envers les personnes réelles. C'est vraiment envers ses lecteurs. Il est comptable de l ‘oeuvre qu'il produit. Il est responsable de donner une oeuvre de qualité. De la plus grande qualité possible à ses lecteurs.

Il est parfois censuré...
Il l'est parfois parce que le pouvoir de la littérature est assez extraordinaire et elle peut faire peur aux puissants bien sûr... 

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