Faudel Slim, écrivain, à L’Expression
«Devenir romancier était un rêve d’enfance»
Bien que l’écriture soit son rêve d’enfance, Faudel Slim n’a commencé à écrire qu’après son départ en retraite. L’un de ses livres, dont il nous parle ici, a eu beaucoup de succès auprès des lecteurs. Faudel Slim est un auteur de Béjaïa.
L'Expression: Comment devient-on écrivain quand on a exercé un métier qui n'a aucun rapport avec les lettres?
Faudel Slim: C'est vrai que j'ai un profil scientifique et technique à la base. Mais le rapport avec les lettres, la lecture particulièrement, je l'ai depuis ma tendre enfance. Je vous renvoie à la page 135 de «Fragments épars»,chapitre «Mme Jacques et Meursault» où j'écris, en substance: «En début du cours moyen deuxième année, CM2, correspondant à la 6e année primaire, et alors que j'avais douze ans à peine, j'en étais à un décompte de cent cinquante ouvrages. Parmi ceux-ci, figuraient beaucoup de classiques de la littérature française et universelle.». Et les écrivains n'étant pas spécialistes de la littérature et des langues, à la base, ce n'est pas ce qui manque dans la longue liste des célébrités, à travers l'histoire. Je vous cite juste deux noms, parmi ceux qui m'ont marqué: Antoine de Saint-Exupéry qui était aviateur, et Archibald Joseph Cronin, le célèbre auteur écossais, qui a écrit, entre autres, La Citadelle et Les clés du royaume, et qui était médecin.
Tout comme la majorité des écrivains, vous avez commencé par la poésie, en publiant plus d'un recueil, que représente la poésie pour vous? Pouvez-vous nous parler de cette expérience?
La poésie est, comme l'écriture en général, un moyen d'expression artistique. Elle permet d'exprimer avec plus d'élégance et, en même temps, de puissance, des émotions et des rêves. L'auteur a, à sa disposition, des outils comme les métaphores, dont il peut user sans limites. Mon amour pour la poésie et les paroles bien agencées remonte à ma jeunesse. Ce n'est pas par hasard qu'Ait Menguellet, le forgeron des mots, et Jean Ferrat, qui chantait Aragon, faisaient partie de mes chanteurs préférés. Mais, même si j'arrivais, avec ma guitare, à reprendre les chansons du maître kabyle, et à composer quelques petites mélodies personnelles, il m'était impossible de mettre des paroles dessus. Ni en kabyle, ni en français. Ma mère, qui n'avait jamais été à l'école, était, par contre, une grande poétesse orale. Deux années environ après son décès, survenu, en 1995, il se passa une chose étrange. À longueur de journée, des vers emplissaient ma tête, spontanément, sans aucun effort de ma part. Dans ma langue maternelle, le kabyle. C'était comme une digue qui cassait, un torrent qui déferlait à l'intérieur de ma tête. Je m'empressais de les écrire pour ne pas les perdre. Quant à la poésie en langue française, mes débuts remontent aux années 2000, avec l'apparition de l'Internet. J'ai participé à des forums en ligne avec des poèmes improvisés sur divers thèmes. J'ai été agréablement surpris par les avis élogieux des internautes, parmi lesquels il y avait des poètes confirmés. J'ai eu le réflexe de sauvegarder une vingtaine de mes créations et, début 2016, à la faveur d'une publicité d'un éditeur en ligne, j'ai décidé de tenter ma chance. Cela a abouti à la publication de mon premier recueil Les vers fanés.
De nos jours, la poésie ne compte pas beaucoup d'adeptes. N'avez-vous pas eu l'impression de prêcher dans un désert en vous adonnant à la poésie?
C'est en partie vrai. Et les éditeurs qui créditent l'idée que «la poésie ne marche pas», à tort ou à raison, en déclinant souvent la publication d'ouvrages de poésie, contribuent à la démotivation des auteurs. Il y a un autre phénomène qui aggrave encore cet état de fait. C'est la disparition progressive des répertoires des nouveaux artistes, des chansons à texte. Or la musique reste un des grands supports de la poésie, en plus du livre. De manière plus générale, le délitement des langues par la perte progressive, de plus en plus alarmante, par les jeunes, des notions de base de leurs éléments essentiels (orthographe, grammaire, conjugaison...), fait qu'on apprécie moins la beauté d'un vers, d'un poème. Cela part d'un constat plus général qui est la faillite des systèmes éducatifs avec l'apparition des nouvelles technologies, les smartphones, les réseaux sociaux...Et la démocratisation graduelle de l'intelligence artificielle n'est pas pour arranger les choses.
L'un de vos recueils de poésie est intitulé Les vers fanés, que symbolise ce titre?
Les vers fanés est tout simplement le titre éponyme d'un des poèmes du recueil. La dernière strophe du poème:...
Je suis confus: à qui offrir mes tendres mots?
Ils sont pour toi, tu n'es plus là, prise par les flots
D'une crue sauvage, d'un beau gâchis sur un rafiot
Prends mon poème, arrose ses vers, fais-en ta dot
L'errance revient très souvent quand il s'agit de poésie et de poètes, pourquoi?
Le poète s'identifie souvent à un troubadour. Il a besoin de liberté, d'espace pour s'exprimer. Il s'inspire des vastes océans, de l'univers infini. Et comme il n'a ni navette spatiale ni submersible pour accomplir sa mission, il a recours à son imagination féconde et au délire. Il erre sur une espèce de tapis volant au gré des vents de son subconscient. Contrairement à l'écriture d'un roman où l'écrivain est lié par les contraintes de l'énigme, et la vraisemblance des situations qu'il décrit, le poète, lui, n'a pas de barrières, pas de garde-fous. Il s'éclate, il invente des mots, des amours impossibles, des univers invraisemblables. Pour son lecteur, la fluidité des mots s'apparente à une caresse de vent, à une brise douce. Tout est permis pourvu que la magie des mots soit du voyage.
Justement, l'un de vos recueils porte pour titre Errances...
Mon recueil Errances contient des poèmes sur l'univers, la mer, le délire... Il y a aussi deux fables inspirées du terroir kabyle.
Comment est né votre roman Le serment par le sang?
En réalité, devenir écrivain et romancier en particulier est, pour moi, un rêve d'enfant. J'avais écrit une vingtaine de pages d'un roman alors que j'étais encore au lycée. J'ai fait une autre tentative plus tard qui n'a pas abouti. Alors, quand Les vers fanés a été publié, je me suis dit qu'un grand pas avait été franchi. Mais c'était, néanmoins, insuffisant pour moi. Mes références étaient Camus, Saint-Exupéry, Zola, Cronin... Et eux, avaient écrit des romans. Je n'avais aucun plan d'énigme, aucun synopsis précis au départ. J'ai d'abord écrit le chapitre Ultime souffle dans le désert. J'ai ensuite écrit quelques chapitres épars, dans le désordre. Je naviguais à vue. Une fois l'ossature réalisée, j'ai réuni l'ensemble dans un même fichier et continué l'histoire. J'ai d'abord publié le roman sur «Les éditions du net» avant de le proposer aux éditions Talantikit de Béjaïa. Je précise que j'ai tout fait moi-même. Les relectures, les corrections, les mises en page... C'est d'ailleurs le cas pour tous mes ouvrages.
Selon une thèse consacrée à votre roman, ce dernier aborde quatre thématiques constantes: la mort, l'amour, la déprime et la fidélité. Pouvez-vous nous parler de cet aspect?
Par principe, je ne m'implique pas dans ce genre de débat concernant mes ouvrages. Je m'astreins à une sorte de devoir de réserve. J'estime qu'à partir du moment où le livre est finalisé et publié, il n'appartient plus à l'auteur mais à ses lecteurs. Et chacun en fait sa propre lecture, celle qui lui convient le mieux. Et pour l'écrivain, ce n'est plus le temps de parler, mais celui d'écouter. De toute façon, pour moi, la vision de l'auteur n'est pas forcément la bonne, ni la meilleure. Il y a en tout, à ma connaissance, trois soutenances de mémoire de master avec Le Serment par le sang comme corpus. Les étudiantes concernées m'ont contacté, à chaque fois. Mais je ne suis jamais intervenu sur le fond et le contenu. J'ai juste donné des éléments de ma biographie et répondu à certaines questions. Je n'assume pas les contenus de ces mémoires, bien entendu. Je tiens à le préciser. Chacun a le droit d'avoir sa propre vision de l'oeuvre, qu'on doit respecter. Je me sens, néanmoins, très honoré par le choix des étudiantes. Le fait d'opter pour des ouvrages d'auteurs algériens est une manière de rendre hommage à ces derniers.
Le serment par le sang a été très bien accueilli par les lecteurs, à quoi attribuez-vous ce succès?
Je suis incapable de répondre. Il faudrait sans doute poser la question aux lecteurs eux-mêmes qui ont lu et apprécié l'ouvrage. Je ne m'attendais pas du tout à un tel accueil et à des retours aussi élogieux. Les commentaires des lecteurs d'Europe et du Canada peuvent être consultés sur la page du roman sur le site Amazon. Il y a aussi des retours sur la page Facebook de l'auteur. Il est difficile voire impossible, pour tout écrivain, et tout artiste en général, d'évaluer son oeuvre et donc de prévoir son écho auprès du public. Pour moi, l'essentiel est d'écrire avec le coeur et de ne pas tricher.
Pouvez-vous nous parler de Parfum d'aurore, votre roman paru cette année?
Parfum d'aurore est, pour le moment, exclusivement disponible sur Amazon, depuis janvier 2024. L'histoire se déroule en France et en Suisse. Les sujets abordés dans les deux intrigues, principale et secondaire, ont imposé ces choix. La narration, comme dans le premier roman, se fait à la première personne. L'auteur se met dans la peau d'un citoyen français, proche de l'extrême droite. Un exercice pas du tout évident pour un Algérien. Une sorte de défi pour moi. J'espère pouvoir trouver bientôt un éditeur pour mettre le roman à la disposition des lecteurs algériens.
Peut-on avoir une idée de votre récit «Fragments épars ?
Fragments épars est un recueil de récits autobiographiques, de petites histoires, parfois anecdotiques, de ma vie. Ci-après un extrait du quatrième de couverture: «Il y a dans la vie de tout être humain, des épisodes marquants, inscrits de manière indélébile dans sa mémoire, dès l'enfance. L'auteur nous dévoile, ici, les siens, sous forme de petites histoires anecdotiques apportant, chacune, un sourire, une tristesse, une pensée ou une réflexion». L'ouvrage n'est disponible, pour le moment, que dans certaines librairies de la wilaya de Béjaïa.
Pourquoi avoir attendu la retraite pour vous adonner à fond à l'écriture et à l'édition, pourquoi pas avant?
La question est pertinente et je me la pose moi-même. Même si, devenir écrivain a toujours été un rêve d'enfant enfoui au plus profond de mon subconscient, sa concrétisation a, à vrai dire, rarement effleuré mon esprit, avant ma retraire, tellement j'étais pris dans l'engrenage de la vie active. À un certain moment, dans les années 80, j'ai voulu, par contre, publier un ouvrage technique sur la programmation informatique concernant le calcul de structures en génie civil. Sans succès faute d'éditeur.
Que représente l'écriture pour vous?
L'écriture est pour moi, avant tout, la réalisation d'un rêve d'enfant et une passion. Après mon premier roman Le Serment par le sang, les retours élogieux des lecteurs m'ont encouragé à continuer à écrire. Je profite de l'occasion pour saluer ma petite communauté de lectrices et de lecteurs qui interagissent avec moi à travers les réseaux sociaux, aussi bien en Algérie qu'à l'étranger. J'écris aussi pour moi, bien sûr, pour m'occuper et ne pas sombrer dans l'ennui et la lassitude, après mon départ à la retraite.