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Rencontre littéraire à l’Institut français d’Alger

De l’injustice à la trahison …le cas de Fernand Iveton

Une rencontre à l’IFA a réuni autour de l’éditeur de Barzakh, Fabrice Henry, comédien et metteur en scène, ayant adapté le roman de Jospeh Andras, De nos frères blessés au théâtre et Salah Badis, écrivain, l’ayant traduit du français vers l’arabe.

«Alger, 1956. Fernand Iveton- ouvrier communiste, anticolonialiste, rallié au FLN- a trente ans quand il pose une bombe dans son usine à Belcourt. Il est dénoncé et interpellé avant que la bombe n'explose. Il n'y a ni blessé, ni mort. Il est pourtant condamné à la peine capitale et sera exécuté le matin du 11 février 1957, restant dans l'Histoire comme le seul Algérien d'origine européenne guillotiné de la guerre d'Algérie.» De cette histoire véridique est né un roman paru en 2016, celui de Joseph Andras intitulé De nos frères blessés. «Ce roman revient sur la biographie de Fernand Iveton. Celui-ci fait partie de ces Français ou européens qui ont pris parti et soutenu, accompagné, voire combattu pour l'indépendance de l'Algérie...», dira l'a semaine dernière, lors d'une rencontre à l'Insitut français d'Alger, Sofiane Hadjaj, des éditions Barzakh, qui fera remarquer que le premier à avoir révélé cette histoire 30 ans auparavant est un chercheur qui s'appelle Jean Luc Einaudi. Il en a fait un livre de recherche et d'enquête journalistique et historique, en 1986. «Joseph Andras va partir de cette matière biographique pour proposer un roman, une fiction avec une certaine liberté avec la réalité historique. On est dans une manière de raconter l'histoire avec un grand et un petit H». Après le livre de recherche, 30 ans plus tard donc, il y a le roman de Joseph Andras et puis, deux ou trois ans après il y a une pièce de théâtre, un film et la traduction en arabe de ce roman en français. «Une manière de prolonger cette histoire...», soulignera Sofiane Hadjajd en préambule. Pour en parler, avec lui, d'abord en visio-conférence, le metteur en scène, Fabrice Henry, qui nous parlera de la manière dont il a resitué cette histoire et le traducteur, Salah Badis, écrivain, traducteur de l'ouvrage du français vers l'arabe.
Le premier à prendre la parole est donc Fabrice Henry, comédien et metteur en scène, qui a adapté le roman au théâtre.
À ce propos, il expliquera sa démarche, affirmant qu'il ne connaissait pas avant Fernand Iveton et son but était ainsi de révéler à l'opinion publique «l'engagement d'un Français en faveur de l'Algérie indépendante, car c'est quelque chose dont on parle absolument jamais en France».
Engagement et transmission
Et de souligner: «Ca m'intéresserai d'évoquer cette grande injustice qui venait de s'abattre sur Fernand Iveton qui a été condamné à mort alors qu'il n'a pratiquement rien fait dans la réalité, le fait aussi que cette histoire ce soit complètement tue, le fait que c'est Mitterrand qui était garde des Sceaux à l'époque, pose beaucoup de questions sur les politiques qui sont les nôtres jusqu'à récemment et sur l'altitude de la France face à tout ça. Je pense que le sujet de la guerre d'Algérie est un souci qui n'est pas du tout réglé, ni en France, ni en Algérie...c'est une histoire qui es tue. On a taxé d'ailleurs de terroristes ces personnes-là, je trouve que le choix des mots est important, car aujourd'hui, on ne peut pas comparer l'action d'un Fernand Iveton au terrorisme moderne. Et pourtant, c'est le mot qui a été apposé sur son action et qui a justifié sa condamnation à mort. Toute cette histoire, j'avais envie de l'explorer ainsi que la question de la transmission. C'est ce qui m'a donné l'envie de mettre l'écriture de joseph Andras en spectacle.»
Evoquant la langue de l'écrivain, le metteur en scène souligne: «Ce dernier a une vraie langue, une poésie et une capacité à mettre en mots les choses de manière très belle, très forte et prenante. Cette langue me paraissait faite pour des acteurs. Pour être dite, pas seulement pour être lue. Elle s'adapte au plateau, car elle relève presque du récit épique j'ai envie de dire... Joseph Andras donne un souffle tragique à cette histoire qui est basée sur des faits, je voyais dans le geste de Joseph Andras cette envie et le besoin de partager cette histoire d'un homme qu'on a complètement oublié et pour moi le théâtre c'est cet endroit là où une équipe d'acteurs rencontre un groupe de spectateurs, se met en place une transmission en direct, un peu comme dans l'oralité... et inciter ainsi les spectateurs à transmettre aussi cette histoire... que les gens s'approprient l'histoire du passé qu'on a voulu cacher, en suscitant des réflexions et des émotions sur cette histoire-là. Car se rappeler ce personnage c'est se rappeler notre fraternité commune. Et celle d'un Français qui se dit être algérien et se bat pour les Algériens quel que soit ce qui est écrit sur sa carte d'identité. Il s'agit aussi de questionner cette notion de fraternité: qui sont nos frères et les blessures qu'ils portent et que nous portons avec eux. C'est ce qui a voulu je pense raconter joseph Andras et la poétesse qui a envoyé ces mots d'où sont extraits le titre du film, à Helene quand Fernand a été exécuté», explique le metteur en scène. Et de poursuivre en précisant ses intentions: «L'idée était dans le fait de raconter, exactement comme le fait joseph Andras. Et faire attention avec ce qu'on affirme et comment on joue les choses.
Les acteurs ne sont justement pas là pour interpréter des personnages, mais de raconter une histoire en étant le plus près possible des mots et du parcours de Fernand Iveton. Ce qui m'a semblé important, était de ne pas recouvrir la parole par un geste de mise en scène qui serait trop appuyé. On a fait le pari de ne pas avoir de décor ou de costumes, de ne pas se situer dans une époque et faire croire à une fiction ce qui serait le postulat de base d'un spectacle de théâtre». Et de confier encore: «Notre idée était de casser tout de suite cette convention-là et d'assumer qu'on est nous, un groupe d'acteurs qui a été à la rencontre d'un texte, d'une histoire et d'un auteur et qui décide de le partager..
On confie aux spectateurs certains mots du texte à la fin, dans la mesure où Fernand Iveton n'est pas un personnage de fiction même si on a du mal à le croire quand on lit cette histoire. C'était une manière de lui rendre hommage et rendre hommage au travail de l'écrivain qui s'attache lui, particulièrement, à restituer des figures oubliés de l'histoire.»
L'injustice et la trahison
«On doit choisir à un moment surtout dans des situations extrêmes comme celle qu'a pu vivre l'Algérie pendant la décolonisation. Fernand Iveton a fait le choix de ne pas obéir à un Etat qui a commis des méfaits. C'est une réflexion que je comprends, celle de refuser de cautionner des actions de son gouvernement. De décider en son âme et conscience de qui on est frère et de qui on est proche et contre quoi on se bat. On doit toujours réfléchir à cette question de la violence. Car on a tendance à penser que la contestation ne doit pas être violente, mais à l'époque, les mots dans la presse étaient d'une extrême violence envers Fernand iveton et dans des cas comme la guerre d'Algérie il faut combattre ces choses, combattre la propagande, combattre la grande violence de l'Etat et en effet, je suis questionné sur cette notion de justice car pour vous et moi ça parait aujourd'hui absurde d'exécuter quelqu'un qui a posé une bombe qui n'a même pas explosé.
La question de la justice devient complexe. On a un procès expéditif, fait en quelques heures par des juges qui touchent des primes quand ils condamnent des gens qui sont contre l'Etat français. Ces paradoxes font partie de notre histoire. Il ne faut pas les oublier et continuer à s'interroger sur pourquoi on se bat...»
La traduction vers l'arabe
Prenant la parole, le traducteur, Salah Badis, dira avoir reçu pour sa part, ce texte par l'éditeur de Barzakh en 2017. C'était son premier livre traduit du français vers l'arabe. «J'avais déjà lu le livre, pour moi c'était un méconnu qui parle d'un méconnu. Car personne ne connaissait joseph Andras et pour ma part je ne connaissais pas Fernand Iveton. Entre un méconnu qui parle d'un méconnu, il y avait un langage. Ce langage-là est écrit en punchline. Traduire ce livre a été une expérience très forte. Je ne sais pas si aujourd'hui je l'aurai traduit de la même façon, je ne pense pas. Mais je suis très reconnaissant pour cette expérience car c'était un vrai laboratoire, dés la première phrase et le titre.». Et de confier: «Il y avait un débat autour du titre avec l'éditeur d'autant qu'en Algérie, le mot «fraternité» relève d' un grand sens, il pèse sur les Algériens.
En lisant le livre, il y avait cette charge politique de l'époque, mais la charge poétique était plus lourde comme si on écoute une belle chanson de rap..les dernières pages du livre, on ne peut pas les lire sans pleurer...
La façon dont joseph Andras écrit sur la Casbah en plein exécution de Fernand Iveton est très forte.» À propos de sa manière de traduire, Salah Badis fera remarquer avoir son propre laboratoire langagier, étant une personne qui pratique l'arabe tous les jours. «Être invité dans le monde d'un autre et dans une autre langue si lointaine et si proche, et en plus d'un écrivain qui a du style, c'est vraiment difficile. Soit on capte, soit on ne capte pas. Il faut plonger dans le texte et en même temps il faut trouver l'équilibre. Car on ne peut pas être tout le temps le miroir de son texte...J'ai passé entre quatre à cinq mois à traduire le livre. Il ne fallait pas s'arrêter pour ne pas rompre le fil avec sons style d'écriture. Il fallait aussi élargir le champ de cette langue, trouver de nouvelles formules et de nouvelles possibilités de dire les choses dans cette langue qui est la mienne.»
Héros ou traître?
Revenant au metteur en scène, ce dernier saluera le travail de l'écrivain qui montre des héros humanistes et simples, sans pou autant être quelqu'un d'extraordinaire qui ne fléchit jamais sous la torture, ou se comporte comme un cowboy sans jamais faire d'erreur. «Bien au contraire, Joseph Andras montre cette humanité de Fernand qui est face à la torture et il finit par parler. Ces personnages on les idéalise, on les fait à la grandeur d'un pays ou d'une histoire et Fernand on a décidé d'un faire un héros, mais on a décidé qu'il n'était pas du bon côté à ce moment-là. Cette question entre l'image et la réalité est très importante. Dire qu'une personne est un héros ou un terroriste, ça dépend des gouvernements, au final, et des générations, entre les vaincus et les gagnants. C'est une réflexion très forte de Jopseh Andras.» Enfin, abordant la question de la notoriété du livre de joseph Andras, il a été rappelé que ce dernier avait reçu le Goncourt du premier livre, mais qu'il a rejeté tout en refusant le jeu médiatique en accordant très peu d'interview, suscitant souvent la polémique.
Pour autant, son livre, malgré certaines mauvaises critiques a reçu beaucoup de succès et demande des traductions de par le monde dont une aux Etas-Unis ou il vient récemment de sortir là-bas.

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