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Rachid Bouchareb, réalisateur de «Nos Frangins», à l'Expression

«Cette histoire, je l'ai vécue...»

La salle Ibn Zeydoun n'a pu contenir tout le monde qui s'est déplacé,vendredi soir, pour assister, dans le cadre du Fica, à la projection de «Nos frangins», le nouveau long métrage de Rachid Bouchareb, qui sort quasi simultanément en France et en Algérie. La nuit du 5 au 6 décembre 1986, Malik Oussekine est mort à la suite d'une intervention de la police, alors que Paris était secoué par des manifestations estudiantines contre une nouvelle réforme de l'éducation. Le ministère de l'Intérieur est d'autant plus enclin à étouffer cette affaire, qu'un autre français d'origine algérienne a été tué la même nuit par un officier de police. Ce dernier s'appelle Abdelouahab Benyahia, surnommé Abdel et dont Rachid Bouchareb restitue la vérité aussi par devoir de mémoire. Ce long métrage qui s'appuie sur un nombre important d'archives, sort pour info à partir du 11 décembre dans dix salles en Algérie. Romancé d'emblée, car coécrit par l'ecrivaine Kaouther Adimi, le film fait état des réactions des familles après la découverte du carnage. Emouvant et rehaussé par une formidable distribution d'acteurs, ce long métrage est également agrémenté par un bon travail sur la bande son musicale. Sorti cette semaine en France, le film suscite d'ores et déjà le mécontentement des frères d'Abdel Benyahia arguant la fausseté dans la narration des faits et le mauvais traitement du père tel qu'il est montré dans le film. Les co-scénaristes se sont- ils ainsi permis des largesses dans leur fiction, bien qu'inspirée de faits réels? Une polémique, vient en tout cas d'éclater au grand jour, et ce, à quelques mois après la participation du film, en mai dernier, au festival de Cannes. Néanmoins, «Nos frangins» a le mérite d'exister, eu égard, au moins, au sujet soulevé et qui est quasi inconnu en Algérie, voire chez les jeunes en France.
L'auteur d' «Indigènes» et de «Hors-la-loi» nous en dit un peu plus dans cet entretien....

L'Expression: Votre histoire aborde le meurtre par la police de deux Français d'origine algérienne. Pourquoi cette histoire aujourd'hui?
Rachid Bouchareb: Je ne fais pas de cinéma par rapport à l'actualité. Cette histoire je l'ai vécue, c'est pour cela que ça m'intéressais de faire ce film. J'étais jeune comme eux à l'époque. C'est quelque chose qui nous a beaucoup marqués, chaque fois qu'on entendait parler de jeunes d'origine algérienne, tués par la police, ce n'est pas loin d'octobre 1961. C'est juste 20 ans après. Ce n'est pas beaucoup. Voila pourquoi j'ai voulu faire ce film tout simplement, qui clôt une trilogie après «Indigènes» et «Hors-la-loi».

L'Expression: Votre film s'appuie sur énormément d'archives...
Rachid Bouchareb: C'était pour souligner ce que disaient à l'époque tous les discours des hommes politiques, le ministre de l'Intérieur, un Premier ministre, un président, Mitterrand, Chirac,Pasqua et et tous ceux qui étaient au gouvernement. C'était intéressant de mettre ce discours en images et l'intégrer dans le film parce que tout ce qui s'est dit, quand la mort de Malik a eu lieu, c'est à partir de là qu'on a eu tout ce que vous voyez en archives, c'est-à-dire juste après la mort de Malik et celle d' Abdel après, par ce qu'il a été caché pendant 48h..

L'Expression: Vous ne vouliez pas faire une sorte de biopic? mais raconter une histoire de l'intérieur, c'est-à-dire du point de vue psychologique des familles. Est -ce tout de même un docu-fiction?
Rachid Bouchareb: Non, j'ai évité à ce que ça devienne un docu-fiction. Comme les archives existent et elles sont fortes, notamment les manifestations qui ont eu lieu en France, je voulais que le public les voit, une mobilisation de deux millions de personnes pour dire stop à cette violence.. On peut aller vers çà, mais j'ai fait attention afin de trouver un bon équilibre. Ces archives étaient très importantes pour comprendre l'époque, pour le jeune public surtout qui n'a pas vu ces images. Moi je les ai vues à la télévision..J'avais 27 ans. Je voulais raconter l'histoire des deux familles, raconter ce qui est arrivé à ces deux familles qui n'ont pas été informées et la douleur qu'ils ont vécu. C'est un film sur comment on perd un fils, un frère et c'était important de la raconter comme ça.. C'est le film qui le montre dans toutes les scènes.

L'Expression: Comment raconte t-on cette histoire sur ces familles? Les avez-vous consultées pour être au plus près des faits?
Rachid Bouchareb: Bien sûr, mais pas complètement prés des faits. J'ai pris beaucoup de choses que j'ai trouvées dans la presse. J'ai vu la soeur de Malik. Le frère, je n'ai pas pu le contacter. On pensait qu'il était au Canada. On n a pas réussis à l'avoir avec mon co-scénariste Kaouther Adimi. On a eu des informations dans un échange avec Sarah Oussekine qui nous a confirmé des choses qu'on avait déjà mis en place. Elle nous a parlé de l'itinéraire de son frère, des choses que l'on avait trouvées dans la presse, dans des archives. On voulait avoir de sa part ces informations et les corroborer avec elle. Même chose de l'autre côté avec Abdelkader Benyahia que j'ai vu. C'était aussi un peu compliqué, car c'était en plein covid. Il ne fallait pas trop sortir...Tout s'est fait au téléphone. Abdelakder par contre je l'ai vu à mon bureau à Paris, avec Kaouther..Ce que j'ai ressenti est que c'était difficile pour eux de revenir sur ce chapitre.

L'Expression: Comment travaille t-on avec une écrivaine comme Kouther Adimi? Avec un écrivain?
Rachid Bouchareb: Je l'ai appelée. J'ai déjà collaboré avec des écrivains, notamment Yasmina Khadra sur trois films..J'aime bien la collaboration avec les écrivains. Moi je peux leur expliquer comment écrire un scénario mais ce n'est pas le plus important. Leur univers est intéressant et Kaouther est née en 1986 contrairement à moi. Elle connaissait bien sûr l'affaire Malik mais elle a fait un voyage dans les archives. C'est intéressant par ce que ce sont les qualités qui m'intéressent chez un écrivain et pas la technique du scénario. Je suis là pour l'expliquer et encadrer ça.

L'Expression: La plupart de vos films sont engagés. On a vu toutes les polémiques qu'ont suscité certains de vos films notamment Indigènes et Hors la loi. Ce dernier est aussi déterminant dans le rapport de l'histoire algéro-française. Quel impact pouvez-vous attendre de votre film?
Rachid Bouchareb: L'histoire n'a gardé que Malik Oussekine et pas Abdel Benyahia. Aujourd'hui j'ai fait le tour de France avec ce film, presque ne le personne le connaissait. Quasiment personne. Alors est ce que demain on pourra parler quand on évoquera la date du 06 décembre 1986 de Malik et Abdel? Je l'espère. Aujourd'hui, Seul Renaud a fait une chanson en citant les deux prénoms.

L'Expression: Pensez vous toutefois que votre film fait échos à l'actualité par ce que la violence policière est partout est toujours omniprésente....
Rachid Bouchareb: Elle a toujours fait partie de l'actualité pour moi depuis tout le temps. Pour moi, ce n'est jamais d'actualité. En Amérique, ca ne s'est jamais arrêté et parfois on a l'impression que c'est encore pire qu'avant. En France, depuis octobre 1961, on ne connait pas véritablement les chiffres. J'ai le souvenir enfant de tout ça. Je ne vois pas de changement depuis toujours. Le racisme est toujours présent. Les violences sont toujours là. Vous avez vu chez les gilets jaunes, ils ont perdu un oeil, un pied, une main...Pour moi j'ai pas vu la société française vivre un grand changement. Je ne parle pas de petite chose mais des grands changement..

L'Expression: Votre film est nominé aux Oscars...bien que ce n'est pas la première fois pour vous...
Rachid Bouchareb: Je suis toujours très content que le comité algérien ait choisi mon film pour aller dans cette compétition. Je sais que c'est toujours difficile d'aller jusqu'au bout. J'ai déjà été nominé trois fois. J'ai engagé une publiciste avec laquelle j'ai fait plusieurs films et qui m'a accompagné avec son travail au côté d'un distributeur. Je le fais mais je sais que cela ne suffit pas. Il faut un film qui intéresse...qui parle, qui touche..Ce n'est pas évident. C'est une compétition complexe. Depuis mon premier film nominé en 1996, on ne peut pas se faire une idée définitive de comment fonctionne le système..Je sais seulement que c'est un système très juste. Parce que tout le monde voit les films et après il vote.

L'Expression: Où en êtes-vous sur votre documentaire sur le Hirak?
Rachid Bouchareb: J'ai tourné des choses effectivement. J'ai interviewé des femmes, que j'aimerai aussi continuer à voir encore plus tard. C'est quelque chose que j'ai envie de faire sur encore des années parce que je pense qu'il faut toujours du recul dans ce travail. L'immédiateté ne m'intéresse pas. Je n'ai pas peur de laisser passer dix, 20 ans. ca ne me pose pas de problème. Je ne fais pas la course pour un sujet pour être dans l'actualité. Je ne cherche pas ça. Ce sujet a été accidentel, comme dans la vie. J'étais la pour tourner un documentaire sur Anie Steigner. On a filmé au milieu du Hirak avec elle et puis le mouvement m'a beaucoup intéressé comme la majorité des Algériens. Puis, j'ai filmé ici et en France les manifestations, toute cette partie là. Je me suis intéressé au mouvement des femmes, à l'intérieur de ça. Ce qui est bien dans un documentaire contrairement à la fiction, c'est qu'on archive des choses. Je continuerai le moment venu pour revoir ces femmes et peut-être que je finirai ce documentaire, dans dix ans ou avant, mais je ne suis pas pressé...

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