Au-delà des paradigmes culturels et sociopolitiques

Par Lamia KHALFALLAH*

Djebar, de son vrai nom Fatima-Zohra Imalhayene, née en 1936, est décédée en 2015, laissant derrière elle un héritage riche de réflexions sur l’identité, la mémoire et la femme dans le monde arabe.
L’écriture d’Assia Djebar se distingue par un style narratif unique, combinant des éléments de prose poétique et de récits autobiographiques. Ses œuvres, souvent écrites en français, reflètent une sensibilité aiguë à la fois pour les traditions algériennes et pour les influences littéraires occidentales, créant un pont entre deux mondes. Djebar emploie une approche multi-vocale, mettant en jeu différentes voix et perspectives, ce qui permet aux lecteurs de vivre l’histoire à travers des prismes variés. Des œuvres telles que L’Amour, la fantasia et Les Femmes d’Alger dans leur appartement tmoignent de sa capacité à naviguer entre la nostalgie et la révolte. À travers ses mots, elle plonge dans les méandres de la condition féminine en Algérie, tout en interrogeant les rouages de l’histoire coloniale et post-coloniale. Son style est à la fois lyrique et incisif, offrant une critique sociale profonde tout en rendant hommage à la richesse des voix féminines souvent étouffées. Au cœur de l’œuvre de Djebar se trouvent des thèmes universels tels que l’identité, l’exil et la mémoire. Elle explore les défis de l’identité algérienne, notamment à travers le prisme du colonialisme et de l’indépendance. Dans ses écrits, elle s’attaque aux stéréotypes et aux préjugés, en plaidant pour une compréhension plus nuancée des expériences des femmes, non seulement en Algérie, mais dans le monde arabe en général. Djebar a également consacré une partie importante de son œuvre à la réhabilitation de la voix des femmes dans l’histoire. Elle refuse de permettre à l’histoire de les réduire au silence. Par exemple, dans L’Amour, la fantasia, elle évoque le rôle actif des femmes durant la guerre d’indépendance, défiant les représentations traditionnelles qui les cantonnent à des rôles passifs. Son combat pour la reconnaissance et l’affirmation des femmes dans le discours historique et littéraire a fait d’elle une figure emblématique du féminisme francophone. L’impact d’Assia Djebar va au-delà de ses écrits. Elle a également été une militante engagée, participant à des discussions autour des droits des femmes et des questions culturelles. Elle a enseigné à l’université et a été une voix critique sur des problèmes contemporains qui touchent le monde arabe, dénonçant les violences faites aux femmes tout en plaidant pour l’éducation et l’émancipation. Le mélange d’érudition et de passion dans son œuvre rend ses réflexions intemporelles. En révélant les luttes et les triomphes des femmes algériennes, Djebar a non seulement enrichi la littérature francophone, mais a également offert un modèle de résistance et d’espoir à des générations de femmes en quête de leur voix. À l’occasion de l’anniversaire de son décès, il est essentiel de rappeler l’apport inestimable d’Assia Djebar à la littérature et à la pensée critique. Son engagement envers la vérité historique, sa célébration de la voix féminine, et sa manière de raconter les histoires avec une sensibilité unique continuent d’inspirer et de toucher des lecteurs à travers le monde. En rendant hommage à Djebar, nous célébrons non seulement une écrivaine, mais une pionnière dont la vision et les luttes sont plus pertinentes que jamais dans le contexte actuel. L’œuvre d’Assia Djebar reste un phare pour ceux qui cherchent à naviguer à travers la complexité des identités culturelles et des récits féminins, rappelant que chaque voix mérite d’être entendue. 

*écrivaine