L'Expression

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Histoires vraies, faux sentiments

Survivre avec les loups est le titre du roman best-seller de la Belge Misha Defonseca, de son vrai nom, Monique Dewael. Elle y raconte sa propre histoire, celle d´une fillette de 4 ans, dont les parents ont été déportés par les nazis en 1941. Seule, elle tente de les rejoindre en parcourant l´Europe en guerre. Elle survit à la guerre grâce à son adoption par une meute de loups. Traduit en 18 langues, le livre dépasse les 200.000 exemplaires. Le cinéma s´y intéresse, et la réalisatrice française, Vera Belmont en «tire» un deuxième succès. Jusque-là, rien à dire sauf l´admiration pour cet enfant témoin qui a su, devenant adulte, restituer les affres de la plus grande barbarie humaine du siècle précédent: la Shoah. Sauf que...sauf que cette histoire n´est point vraie! La semaine dernière, son auteure, traquée par l´oeil de la conscience, finit par craquer et avouer le mensonge. Jusque-là aussi, rien d´exceptionnel tant l´histoire de la littérature et de l´art regorge de faux et de mercenaires à la recherche de la notoriété et du gain facile. Sauf que...sauf que dans ce cas précis, l´imposture touche à un deuil collectif auquel l´Europe ne s´est pas encore faite: la Shoah. L´écrit de Monique Dewal, alias Misha Defonseca, traduit s´il en est, la vigilance, la prudence et la lucidité qu´il faut lorsqu´il s´agit de la Mémoire des peuples. A fortiori, quand elle rappelle les drames, les douleurs et les déchirements des hommes entre eux. Quand des lobbies financiers ou des hommes politiques utilisent les tragédies de l´histoire à des fins de pouvoir, ils la banalisent dans l´imaginaire de leurs peuples. Avec le temps et la répétition, ils l´apparentent aux mythes.
L´imagination alimente et habille les mythes des tons et des couleurs qui la rassurent sur sa propre fécondité. Ainsi, si Misha Defonseca s´est excusée auprès de ses lecteurs de la tromperie, son éditeur persiste, pour des raisons évidentes, à faire croire à la sincérité du récit: «Misha a menti, mais son histoire n´est pas moins incroyable que celle de ces gens d´un héroïsme extraordinaire, revenus des camps» dit-il.
En alignant dans la même phrase «héroïsme, histoire incroyable et les revenants des camps» il veut rendre vrai le récit fictif de l´auteure parce que, justement, l´histoire des camps de la mort paraît incroyable tant elle est horrible, et ceux et celles qui en sont sortis vivants sont, oui, des héros extraordinaires. Le promoteur du film fait de même: «C´est Mowgli chez les nazis», dit-il. L´histoire de Mowgli, enfant élevé par une meute de loups est une légende. Un mythe. Ce n´est pas le cas de la Shoah. Alors, chercher les antisémites et ceux qui l´alimentent.

Petit rappel: Au mois d´octobre dernier, en pleine période de Ramadhan, j´ai publié un reportage dans le journal que vous tenez entre vos mains sur le sort des jeunes Algériens clandestins en Belgique: Harraga, dites-vous? était son titre. Il s´agissait de témoignages saisissants et douloureux de jeunes compatriotes piégés par le rêve d´une vie meilleure, ailleurs que dans le pays dans lequel ils sont nés. Ce jour-là, le député (FLN) pour l´émigration était présent et avait offert le repas du f´tour. Il l´avait fait tout au long du mois de jeûne. Il a fait plus. Devant la demande de ces nombreux jeunes, il s´était engagé à négocier avec le consulat d´Algérie à Bruxelles le recensement, même à titre formel, de tous ceux qui le souhaitaient parmi les clandestins. Son intention était sincère et bonne. De leur côté, les harragas voulaient éviter, en cas d´accident grave (décès ou arrestation), d´attendre de longs mois avant d´être rapatriés. C´est qu´au moment de notre rencontre, il y avait le cas d´un des leurs décédé et enterré sous X depuis six mois. Un autre qui venait de perdre la vie attendait les procédures d´identification par le parquet belge avant d´être rapatrié. Leurs familles au pays vivaient un véritable cauchemar. Le député avait promis de donner une première réponse après la fête de l´Aïd. Nous voilà plus près de six mois après, sans suite ni nouvelles de la démarche prévue. Je sais quelles sont les contraintes juridiques de nos responsables consulaires et diplomatiques sur cette question. Avouons tout de même que ce n´est pas bien de ne pas honorer une promesse sur laquelle pesait une espérance, fût-elle posthume: être rapatrié après sa mort. Ainsi, si le harrag risque sa vie à l´aller, vers l´Europe, il n´est pas, même mort, sûr du retour vers le pays.
La première histoire est celle d´une femme qui s´est inventée une histoire de voyage vers l´enfer Survivre avec les loups. Elle intéresse les médias européens. La seconde est l´histoire vraie de jeunes qui crient leur désir de «vivre parmi les hommes.» Elle intéresse peu de monde.

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