Avis de coup de vent
«Le journalisme, c'est le contact plus la distance.» Hubert-Beuve Méry
Du petit village où je réside, je n'ai pas senti passer la Journée de la liberté de la presse, mais j'ai reçu en plein visage toutes les appréhensions et les inquiétudes de ceux qui interprètent le bulletin météo à la lumière de tous les événements qu'une actualité riche dispense généreusement, à un moment où les affaires scabreuses de corruption occupent les unes des journaux. Mais je trouve que c'est quand même un drôle de boulot que celui de journaliste par les temps qui règnent: exposé à tous les courants d'air, il exerce un métier à hauts risques. C'est un véritable job de missionnaire que de vouloir porter la bonne nouvelle à des lecteurs esseulés, dégoûtés par des décennies d'une presse aseptisée, uniformisée et colorisée aux nuances du temps qu'il ne fait pas et saturés par une parabole orientée vers une actualité qui n'est pas la leur, il faut, d'abord, trouver la bonne porte. Quand un jeune homme plein d'ambition, sorti à grand-peine d'une école qui fend l'âme en table, veut se présenter dans le marché saturé de la presse, il doit d'abord faire ses preuves pour pas cher avant de prétendre à une reconnaissance légitime de son employeur. Qu'il sorte de l'école de journalisme, de sciences po, de lettres ou tout simplement de l'école de la vie, le journaliste en herbe, après avoir fait quelques années à droite et à gauche (pour pouvoir manger ou acheter ses cigarettes sans avoir à racketter ses parents fatigués) à faire de petits métiers dans l'assurance (cela en douce!) ou chez un opticien (cela aiguise la vue et rend perspicace), ose, enfin, franchir le seuil d'une rédaction, lieu géométrique où les sortants sont aussi nombreux que les candidats, il est aussitôt présenté à un rédacteur en chef aux tempes grisonnantes, rescapé des années de plomb et rassis, qui le soumettra à des exercices de rédaction rébarbatifs. S'il a un peu de chance, des avantages physiques et des bagages culturels consistants, il lui sera épargné la rubrique des chiens écrasés, les communiqués de la gendarmerie sur les fluctuations de la délinquance ou les conférences de presse de chefs de partis rachitiques dont le discours est aussi suivi qu'un bulletin de météo par un grabataire.
Mais pour l'apprenti-journaliste qui fait ses premiers pas, il doit aussi (et cela, je suis sûr que les plus anciens que lui l'ont averti) faire preuve de beaucoup de prudence: bien sûr, il n'a plus à éviter les ruelles jadis infestées par des raccourcisseurs de carrière ou les routes secondaires où les faux barrages entretiennent encore un peu de suspense sur la viabilité de la réconciliation nationale.
Il doit d'abord, s'enquérir de l'état d'esprit de ses responsables, leur orientation idéologique, leurs liens avec des capitaines d'industrie, leurs goûts littéraires, leurs préférences esthétiques et surtout, leurs besoins en publicité (le nerf de la guerre!), car, comme chacun le sait, au pays du libéralisme avancé où les entreprises sont privatisées à tour de bras, où les moeurs se libèrent un peu plus chaque jour (surtout avec la canicule présente, la chaleur loin d'allonger tous les corps solides, raccourcit drôlement les jupes, les manches de tricots ou de chemises et découvre tant de perspectives...) la presse est loin d'être libre des diktats de la «pub» et de l'imprimerie...
Il doit aussi se tenir à égale distance de la brosse à reluire comme de la scie sauteuse. Cela lui épargnera bien des déboires. Informer sans déformer, c'est la clé d'une réussite bien tranquille!