Aouel Moharrem
Un repère cultuel qui doit nous inciter à la science
«Les hommes t'interrogent au sujet de l'Heure. Dis: Dieu seul la connaît.» «Qui donc pourrait te renseigner? Il se peut que l'Heure soit proche!» (Coran: Sourate XXIII, les Factions, verset 63.)
Jeudi 20 août 2020 est aussi le 1er Moharrem 1442. Cet événement comme les précédents, s'est passé d'une façon clandestine, rien à voir avec le temps grégorien fêté d'une façon pavlovienne par les pays musulmans en oubliant toute la dimension spirituelle de cet événement Ces «nouvelles années» qui commencent à des abscisses de «temps différents» sont une pure création de l'homme, car le temps se joue des petits accommodements de l'homme, qu'il soit religieux ou laïc, scientifique ou néolibéral. L'opportunité nous est donnée de réagir avec le double événement de la visite par le président de la République de la Grande Mosquée le jour du Aouel Moharrem 1442 qui peut être interprété comme celui d'une orientation visant à mettre en valeur notre islam maghrébin fait de tolérance d'acceptation de l'Autre et dans le même temps, celui d'un apport important à la sérénité du monde par le savoir, la tolérance, bref le vivre ensemble planétaire en face d'une science conquérante.
Nous allons expliquer comment est venu le temps et comment les spiritualités abordent le temps. Le temps est de nos jours, mesuré avec une précision diabolique. Si au XVIe siècle, l'espace était réduit à ce que parcourait un individu par jour, à pied, à cheval ou en bateau, De nos jours on peut pratiquement joindre tous les coins de la planète dans la journée. Le temps est aujourd'hui, «comprimé».
Qu'est-ce que le temps?
De fait, la mesure du temps a évolué et cela ne fut pas sans conséquence sur l'idée que les hommes en eurent au fil de l'histoire. Nous savons, depuis l'aube des premières civilisations, comment le mesurer. Au contraire de l'animal, l'homme est «temporel», grâce à sa mémoire, il a conscience du temps qui passe. Y-a-t-il un début et une fin du temps? Le temps est-il rigide ou élastique?
À partir de quel moment on a commencé à compter le temps? Il y a une fuite inexorable du temps qui est en même temps irréversible. Le temps est toujours là, autour de nous, inexorable, silencieux, imperturbable dans cette feuille qui tombe, dans ce mur qui s'écaille, dans cette bougie d'anniversaire qui s'éteint, dans ces rides sur nos visages. Les traitements et crèmes de toutes sortes n'arrêtent pas le cours inexorable, mais donnent l'illusion factice de la jeunesse, c'est-à-dire «l'impossible arrêt du temps». Chacun de nous mourra. Loin de pouvoir tuer le temps, c'est lui qui nous dévore. Nous voulons nous révolter contre la mort, en pensant au paradis, à la réincarnation, à procréer pour laisser une trace de nous-mêmes sur Terre. Le temps nous affecte sans cesse, nous voudrions nous arrêter, et le regarder couler; peine perdue, nous sommes inexorablement dans le temps. Chacun sait constamment qu'un moment doit survenir où il n'y aura plus d'avenir; le présent s'efface devant le passé... Il y a au moins deux sortes de temps: le temps «physique», objectif, celui des horloges, et le temps subjectif, celui de la «conscience». Comme le temps de Newton, ce temps cosmologique s'écoule toujours dans le même sens, et c'est ce qui permet de l'utiliser pour retracer l'histoire de l'univers. On parle de flèche du temps. Le temps subjectif est manifestement irréversible, il a un sens d'écoulement. Le présent est une attente, nous l'écrivons en le vivant. Le futur nous paraît incertain, il fait parti du mystère, il est en relation avec la destinée. Certaines personnes auraient la possibilité de décrire les événements à venir. La prémonition et les devins ont de tous temps eu des places privilégiées dans les sociétés humaines. Est-ce que le fait de prédire l'avenir, diminue le libre-arbitre, puisque tout est écrit. Nous rejoignons les religions pour qui l'homme est prédestiné. Pour l'islam, le «mektoub» n'exclut cependant pas les actes en terme de devoir.
Comment prendre la mesure du temps?
Les premiers calendriers se retrouvent chez les mayas, les sumériens, les égyptiens... Le temple maya de Chichen Itza dans la péninsule du Yucatán, par exemple, est un véritable calendrier. Durant la période faste de la civilisation musulmane qui a fait connaître à l'Occident l'héritage grecque, on sait que les savants musulmans étaient versés dans l'astronomie, un des premiers astrolabes de la science musulmane a été mis au point dès le Xe siècle. La première clepsydre, (horloge à eau) conçue à Bagdad, a été offerte par Haroun Rashid calife abbasside en l'an 800 à l'empereur d'Occident Carolus Magnus, (Charlemagne) qui lui envoya des sloughis.
Les physiciens datent le big bang de 13,4 milliards d'années. En deçà du big bang qu'y avait-il? Est-ce que le temps existait? Ici, honnêtement, la science ne sait plus que balbutier, elle ignorait tout de ce qui s'était passé au petit matin du big bang avant que l'univers ait atteint «l'âge» du «temps de Planck», c'est-à-dire 10-43 secondes. On ne sait rien dire de cette minuscule période. C'est-à-dire: Que faisait donc Dieu «avant» de créer le monde? Stephen Hawking, auteur d'un best-seller «Brève histoire du temps» suppose malicieusement, reprenant une boutade de saint Augustin, Que Dieu «préparait l'enfer pour ceux qui posent de telles questions».
Le temps pour la science
L'histoire humaine se confond avec celle d'un temps corrompu, destructeur, qui porte atteinte à une création que Dieu conserve tout de même et rachète. Le temps de l'hindouisme est celui d'un long enchaînement de maillons d'où l'homme tend à s'évader pour atteindre la fusion dans la source cosmique. Les religions monothéistes ont utilisé l'observation du Soleil et de la Lune pour déterminer leurs repères Il est dit dans le Coran: «Je n'ai pas créé le ciel et la terre et tout ce qu'il y avait entre ces deux éléments sans aucun but. C'est l'opinion que tiennent les mécréants.»
«Le temps se mesure dans la Bible aussi en termes de générations. La fin des temps est-elle la fin du temps»? Pour les religions révélées, Dieu est hors du temps puisqu'il le crée. Les événements historiques sont conçus comme le résultat d'actions divines appartenant à l'histoire du salut.
Selon le judaïsme, le temps est créé par Dieu. Dans le livre de la Genèse (Génèse: chapitre 1), Dieu a créé, non seulement le monde entier, mais également le temps et toute sa structure: une semaine de sept jours, un mois de dix-huit jours et une année de douze ou treize mois. À travers les fêtes, le peuple honore son Dieu et célèbre sa création. Aussi les prophètes critiquent-ils le peuple, soit en visant ses pratiques pécheresses, soit en faisant référence à un temps idéal, temps eschatologique semblable au temps du paradis. Le temps y est considéré comme cyclique à travers les fêtes juives. D'où l'importance accordée dans le récit de la Genèse au temps de la création, émergeant d'un monde chaotique, le tohu bohu.. Dieu fait apparaître les luminaires, dont le mouvement va rythmer le temps et donner les saisons, les jours et les nuits. C'est le temps voulu par Dieu pour l'ordonnance de ce monde.
Dans le christianisme, pour saint Augustin, les événements sont les filins tissés de l'étoffe du temps. Aucun document historique et aucun argument rationnel ne nous autorisent à supposer que le Christ soit né un 25 décembre, ni qu'il soit né dans l'année zéro de l'ère chrétienne. Denis le Petit -ce modeste écrivain qui, vers les années 525, utilisa pour la première fois le calcul des années à partir de la naissance du Christ- fit commencer cette nouvelle série avec un retard d'environ quatre ou cinq années On doit au pape Grégoire l'imposition d'un calendrier qui reprend le calendrier julien. Les calculs montrent que le Christ serait né 5 ou 6 ans avant la date qu'on lui a assignée
L'islam a donné une valeur sacrée au temps. Le temps n'est explicitement mentionné dans le Coran que par deux emplois du mot dahr (en 76, 1 et surtout en 45, 24, où il a le sens de «destin»). Mais le Livre de l'islam contient trois séries de passages éclairants.
Le temps dans les religions
Le temps cosmique, d'abord, réglé par les astres, est un bienfait de Dieu, un de ces signes qui font découvrir l'existence du Créateur. En revanche, le déroulement du temps dans l'histoire de l'humanité est vu d'un oeil sombre, qui y repère seulement le refus par les hommes des messagers successifs de la Révélation, et le châtiment qui s'abattit sur leurs peuples respectifs. La faute en revient à l'inconstance et à la vanité de l'individu humain. (1).
Hadi Tazi, académicien écrit: «Pour connaître la valeur du «Temps» et la place qu'il devrait occuper dans la société islamique, nous devrions savoir que Dieu a juré 15 fois par le Temps et l'Heure dans le Coran. Il faut souligner que les cinq fondements (arkanes) de l'islam sont liés au temps. En effet, la «chahada» (déclaration de foi) est censée être répétée tout le temps, la prière est accomplie cinq fois par jour, le jeûne (Ramadhan) est exigé une fois par an, la «zakat» distribuée une fois par an, enfin le pèlerinage («Hajj») à La Mecque une fois par an est organisé pendant une période bien déterminée.
«Du ciel il dirige toute chose sur la terre, puis tout remontera vers lui un Jour dont la durée est de mille ans d'après votre manière de compter». Sourate 33: La Prosternation, versets 4 et 5. On voit que le jour veut dire ici «périodes» qui se déroulent sur des temps longs, voire des âges à l'échelle géologique. D'ailleurs la sourate 70:
«Les degrés»; verset 4, on lit: «Les Anges monteront vers Lui en un Jour dont la durée est de 50000 ans.»
Plusieurs versets sont consacrés à l'Heure en terme de rendez-vous. Le caractère eschatologique du Coran est affirmé.
L'essentiel du message est de rappeler à ceux qui le recoivent, les évènements futurs qui se produiront certainement (XLVI, 21) Dans la sourate XVIII du Coran versets 17 à 25 «La Caverne», le temps est décrit en terme de relativité. «Nous les avons ressuscités pour leur permettre de s'interroger mutuellement. Un d'entre eux dit Combien de temps êtes vous restés ici? Nous sommes restés un jour et une partie d'un jour, Ils restèrent dans leur Caverne trois cent ans auquel on ajoute neuf années»
Le professeur Mohamed Arkoun dans une de ses conférences s'interrogeait sur le rapport de la vérité au temps dans le Coran, il écrit: «...Mais au temps coranique constitué par le temps fini de la vie terrestre totalement articulé au temps infini de la vie éternelle, le temps céleste servant ainsi de cadre et de référent obligé au temps terrestre en tant que durée vécue.
Le temps coranique est un temps plein: chaque instant de la durée vécue est remplie par la présence de Dieu actualisé dans le culte, la méditation, la remémoration de l'Histoire du Salut, la récitation de la Parole révélée, la conduite éthique et légale conforme aux ‘'ahkam''.»(2)
Conclusion
Dans les sociétés actuelles les rites de passage se font de plus en plus rares. Rien ne vient plus marquer le passage entre l'enfance, l'adolescence et l'âge adulte. La tradition actuelle a perdu ses racines et a de la difficulté à scruter l'horizon. Les héros qu'offrent les mass-médias à la jeune génération sont prisonniers d'une immortalité tragique. Vieillir est dévalorisé. Dans les sociétés traditionnelles, l'âge de la sagesse était valorisé en ce qu'il était le gardien et la mémoire des traditions. Les sages, personnes du troisième âge, transmettaient le savoir et la tradition aux générations plus jeunes.
La doxa occidentale du néolibéralisme impose son rythme au temps du monde. Il est vrai, comme l'écrivent Louis Hourmant et Fréderic Louveau que «le phénomène de mondialisation touche progressivement le domaine du calendrier faisant d'un calendrier local - celui de l'Empire romain dit calendrier julien légèrement amélioré dans sa version «grégorienne» du nom du pape Grégoire II - le calendrier de référence pour une part toujours plus importante de l'humanité, même si le continent asiatique résiste mieux à la pénétration de cette mesure occidentale du temps que d'autres continents (l'Afrique, et le MO) où les civilisations anté-coloniales se sont plus profondément disloquées devant la colonisation». (3)
La mesure du temps intéresse au plus au point le néolibéralisme pour extraire plus de valeurs. En clair, produire plus en moins de temps ouvrant ainsi un boulevard au malheur de la civilisation humaine qui consiste à asservir les hommes pour qu'ils soient rentables. Cette hégémonie néo-libérale comme l'invention du Père Noël avec le costume rouge voulu par Coca Cola est en train de problématiser les espérances religieuses au nom de la dictature du money-théisme De ce fait et de plus en plus en réaction apparait en Occident un mouvement prônant la lenteur synonyme de temps de vivre. En Italie les citta slow proposent une façon de vivre le temps qui se bat contre la dictature du temps
Dans le Monde arabo-musulman, cette dictature est vue de façon religieuse par ceux qui se lamentent sans rien produire et qui imputent aux autres leurs travers et leur ignorance Par ceux qui font dans le délire de persécution une façon de mobiliser pour un nouveau djihad dont on sait qu'il est perdu d'avance du fait que le terrain choisi n'est pas le bon, la cause pour laquelle il faut se battre n'étant pas celle-là, mais celle du vrai Ijtihad (effort dans le sens du dépassement de soi) celui de la science de l'effort de la sueur des nuits blanches du travail bien fait, seule utopie qui peut faire retrouver à cette Oumma en panne de moteur, un rôle de phare qu'elle a eu dans les lustres passés. Les musulmans ont abdiqué le savoir en s'en remettant aux autres pour segmenter leur temps. Mesurons le temps perdu au lieu de nous lamenter.
Peut-on penser à un temps oecuménique fêté par tous les humains? «Quel sera le temps de l'humanité à venir? écrit Pierre
Boglioni. Il semble que les calendriers d'origine religieuse ne sont pas près de mourir. Et il est bien qu'il en soit ainsi, car ces calendriers ont su créer et enraciner des fêtes, des coutumes et des valeurs d'une intensité et qualité extraordinaires. Mais en même temps, un immense changement est en cours. Nous assistons à l'émergence d'un nouveau calendrier: un calendrier universel, un temps humain pour tous les humains celui de l'avènement de la sagesse.» (4)
L'inauguration de la Grande mosquée d'Alger devrait être l'occasion pour nous d'un nouvel aggiornamento de l'islam pour aller à la conquête des savoirs sans rien perdre du message originel. Cela pourra se faire comme a insisté le président avec la mise en place d'un Conseil scientifique de haut niveau. Nous devons savoir et connaître dans une posture apaisée ce qu'apportent les autres spiritualités en nous ouvrant sur l' universel par la maîtrise des langues religieuses des autres spiritualités, par la mise en place d'un dialogue permanent et apaisé et par-dessus tout par une formation qui ne doit rien négliger des avancées scientifiques en astrophysique, en biologie, en mathématiques... Bref, nous devrons être très attentifs dans le choix des compétences qui vont représenter l'islam des lumières.
Bonne fête, ‘Am saïd ou koul ‘am oua el Djazair bikhir
1.http://www.quebecscience.qc.ca/magazines/articles/9258dcee50a547dff6c487dc9cf00a14aa6.pdf
2.M.Arkoun: Islam dans l'histoire: Maghreb-Machrek.p.5-24, n°102. (1983).
3.Chems Eddine Chitour:
http://www.legrandsoir.info/Les-civilisations-les-religions-et-la-science-en-face-du-temps-Le-temps-du-monde-et-le-temps-des-hommes.html
4. Pierre Boglioni.: Le temps et sa mesure Université de Montréal 2000