Marie-Antoinette
Il exultait, Ouyahia, de poser des colles aux journalistes dans les travées de l´APN. «Il n´y aura pas de changement de gouvernement», a-t-il martelé sur le ton de quelqu´un qui tient sa revanche. «Quand vous manquez de matière, vous créez de toutes pièces un événement.» Cet air arrogant de monsieur Je-sais-tout a laissé perplexes plus d´un plumitif. De qui tient-il cette suffisance, s´est-on demandé sans oser pousser plus loin l´investigation, de peur de se faire encore une fois rabrouer. Et puis, paf ! Comme une bougie qui s´allume, une caricature de Maz a tout révélé. A l´un de ses collaborateurs, qui lui faisait remarquer: «Si les boulangers se mettent en grève, le peuple n´aura pas de pain», Ouyahia a eu cette réplique fulgurante digne de Marie-Antoinette: «On leur donnera des brioches». Ce trait de génie de Maz résume en une phrase, en une posture toute la personnalité complexe et sournoise d´Ouyahia, son aplomb qui ne le quitte jamais et grâce auquel il peut moucher les journalistes.
Dorénavant, dans la corporation, nous le savons et on se le tient pour dit : nous sommes responsables de toutes nos virgules (dixit Ouyahia) et nous devons contrôler notre sémantique (dixit Zerhouni) pour ne pas indisposer le ministre de l´Intérieur à propos des négociations qui sont faites pour récupérer El Para.
Dorénavant, au lieu de s´employer, dans le cadre de la bonne gouvernance, à résoudre les problèmes des citoyens, comme ceux du prix du pain, de la disponibilité de l´eau dans les robinets, de la pollution des plages et du retour de la conjonctivite, le chef du gouvernement et certains de ses ministres vont s´ingénier à apprendre aux journalistes le b.a.-ba de leur métier. De même qu´ils font le contraire de ce qu´il faut pour créer les conditions idoines pour la bonne circulation de l´information et la meilleure communication entre les autorités et les citoyens, en mettant en place les infrastructures et les lois qu´il faut.
On sait où le comportement de Marie-Antoinette et de Louis XVI ont mené la royauté en France, en 1789 : à la prise de la Bastille.
Faut-il croire qu´il y a encore des citadelles et des Bastilles à prendre en cette Algérie 2004?
Le verrouillage de l´information, tel qu´il est pratiqué à grande échelle par Ouyahia et compagnie a pour résultat, d´un côté de favoriser la rumeur et les on-dit douteux, et d´un autre côté de faire sentir aux citoyens qu´ils sont sous-informés et que les grandes décisions sont prises en dehors d´eux. Par conséquent, il n´adhère pas à la politique qui est menée.
Le comportement d´Ouyahia est ambigu en ce sens qu´il se méfie des journaux qu´il considère comme faisant partie de l´opposition (mais qui, eux, ont leurs propres sources d´information) et les journaux qu´il considère comme faisant partie de ses relais, mais auxquels en fin de compte il ne donne pas d´information crédible, attendant d´eux de n´être que de simples caisses de résonance.
Tout le quiproquo vient de là, et qui fait que le gouvernement algérien ne sait pas communiquer. C´est vrai que le gouvernement a les moyens coercitifs de faire condamner un journaliste ou de le tarabuster par mille et une manières, mais tout cela ne change rien au fond du problème. L´opinion publique n´adhère pas par la force à une politique.
Débusquer les virgules n´est qu´une manière plus civilisée de chercher des poux sur la tête des orphelins. Encore là, n´est-il pas préférable d´employer des moyens mieux indiqués : un bon pesticide, un shampooing, et beaucoup d´eau pour le rinçage. Qu´est-ce que la civilisation, demandait-on à Voltaire?
Trois éléments font la civilisation, avait-il répondu : le savon, le savon, le savon.
Il faut beaucoup d´eau et de savon pour désencrasser la conception que se fait le chef du gouvernement de la communication et des médias. Une conception qui est aux antipodes de ce qui se fait actuellement partout dans le monde, et qui fait tenir à l´Algérie le rôle de lanterne rouge.