Le bouc émissaire
Le procès de l´assassin présumé de la journaliste irano-canadienne Zahra Kazemi met au jour une nouvelle crise née à Téhéran entre les conservateurs, qui contrôlent la justice, et le gouvernement réformateur de Mohamed Khatami. Shirin Ibadi elle-même, prix Nobel de la paix et avocate iranienne a quitté le tribunal dans un état furieux indescriptible, en menaçant de saisir un tribunal international devant ce qu´elle considère comme un simulacre de procès. Mais pour bien comprendre cette affaire ténébreuse, comme seul l´Iran sait les faire, il est bon de revenir aux faits. Zahra Kazemi est morte en juillet 2003 à l´âge de 54 ans après avoir été frappée violemment à la tête alors qu´elle se trouvait en détention pour avoir photographié devant la prison d´Evine, à Téhéran, des familles d´étudiants arrêtés pour avoir manifesté contre le pouvoir.
L´affaire se complique du fait qu´il y a deux assassins présumés. Comment ça? Le parquet a abandonné les charges contre le vrai coupable et accuse un innocent. Celui sur lequel s´acharne la justice, contrôlé par le procureur conservateur Saïd Mortazavi, n´est autre que l´agent des Renseignements, Mohamed Reza Aghdam Ahmadi, qui avait participé à l´interrogatoire de Zahra Kazemi. Mais aussi bien le collectif d´avocats mené par Shirin Ebadi, le président Khatami, que la famille de la victime elle-même, désignent et accusent Mohamed Bakshi, un responsable de la justice travaillant à la prison d´Evine. Cette affaire est d´autant plus compliquée ou scabreuse qu´elle met au jour deux lignes de fracture. La première entre l´Iran et les capitales occidentales .D´un côté, le juge a provoqué la colère des diplomates occidentaux, l´ambassadeur du Canada Philip Mackinnon, celui des Pays-Bas Hein de Vries, ainsi que des diplomates français et britanniques qui voulaient assister à l´audience. Le porte-parole du gouvernement, Abdollah Ramezandadeh ayant déclaré que le procès de Mme Kazemi était une affaire purement interne, puisque la victime est iranienne, alors que Ottawa, qui a rappelé son ambassadeur à Téhéran, considère qu´elle est aussi canadienne. Bien entendu, l´Union européenne et Reporter sans frontières expriment leur solidarité avec le Canada. Ce qui va compliquer encore davantage les pressions qui s´exercent sur Téhéran sur le volet nucléaire ou sur celui des droits de l´homme à l´Onu. Mais, d´un autre côté, cette affaire exacerbe aussi les relations déjà exécrables entre réformateurs et conservateurs en Iran. «Si l´accusé est reconnu coupable, le gouvernement et le ministère des Renseignements protesteront, car tout le monde sait qu´il est innocent», a ainsi déclaré Abdollah Ramezandadeh. Ainsi, il est plus que jamais de plus en plus difficile de saisir toutes les subtilités de la politique interne de l´Iran. On remarquera, que le gouvernement iranien, la famille de Mme Kazemi, les diplomates occidentaux, le collectif d´avocats mené par Shirin Ebadi sont tous sur la même longueur d´onde en ce qui concerne l´innocence de l´accusé, Mohamed Reza Aghdam Ahmadi, qui n´est ici qu´un bouc émissaire. En revanche, le même gouvernement réformateur, opposé aux conservateurs sur l´identité du coupable, se solidarise avec lui pour empêcher les diplomates canadiens et européens d´assister au procès. Le temps a pourtant montré que les conservateurs ne font pas de cadeaux et qu´ils vont toujours jusqu´au bout de leur logique : lorsqu´ils ont voulu filtrer et nettoyer les listes des candidats aux législatives, ils n´ont pas hésité à le faire, et ils sont aujourd´hui majoritaires au parlement iranien. Le gouvernement réformateur, qui avait menacé de démissionner en signe de protestation, ne l´a pas fait et la cohabitation continue jusqu´à nouvel ordre. Pendant ce temps, les conservateurs, dirigés par l´ayatollah Khamenei, marquent des points précieux.