Exodus
En suivant sur le petit écran l´odyssée inhumaine de ces 37 boat-people africains retenus en Italie, on ne peut s´empêcher de songer à Babord Australie, ce monologue dans lequel l´humoriste Fellag abordait avec beaucoup d´émotion et de dérision le rêve de milliers d´Algériens de décrocher le visa et d´aller si loin, si loin, pourvu que ce soit ailleurs, parce qu´ils aiment les grands espaces et que malheureusement l´Algérie est comme une cage pour eux. Ce rêve d´évasion n´est pas spécifique aux Algériens. Depuis des décennies, on voit bourlinguer sur les flots tumultueux des mers et des océans des rafiots de fortune transportant, selon l´époque, des Vietnamiens, des Cubains, ou des Maghrébins partis de Tunisie ou de Libye rejoindre les côtes siciliennes de Lampedusa. C´est à chaque fois des drames à n´en pas finir, parce que les pays d´accueil ont radicalisé leurs législations anti-immigration clandestine.
Comme toujours, l´identité même de ces 37 boat-people africains est sujette à controverse : sont-ils réellement des Soudanais fuyant la guerre au Darfour, se demandent les autorités italiennes. Mais ce qui a surtout retenu l´attention de ces dernières, ce sont les objectifs réels de l´association humanitaire Cap Anamur. Une polémique oppose à ce sujet Rome à Berlin. «Il ne faut pas que Elias Bierdel (le président de l´association) soit puni parce qu´il voulait aider des gens qui avaient urgemment besoin d´aide.» a déclaré la ministre allemande du Développement Heidemarie Wieczorek-Zeul. «J´ai ressenti une sorte de fierté que cela soit un bateau allemand» a ajouté pour sa part Claudia Roth, la responsable des droits de l´homme au sein du gouvernement allemand. Mais les autorités italiennes ne l´entendent pas de cette oreille. Pour elles, le Cap Anamur a pris à son bord les 37 boat people africains clandestins avec un objectif précis : arriver en Italie, à Porto Empedocle, «en racontant un paquet de mensonges.» Le pape Jean-Paul II lui, est sorti de ses gonds pour comparer ce bateau perdu en Méditerranée, et qu´aucun port ne voulait accueillir, à l´Exodus.
Véritable arche de Noé des temps modernes, ce bateau de people exprime toute la détresse des pays africains, du nord au sud, eux qui habitent dans un continent encore ravagé par la sécheresse, les épidémies et les pandémies, les famines, la corruption et les guerres. L´opulente Europe ne veut pas d´eux et la Méditerranée les rejette. Le thème de Babor Australie fait aussi penser à un slogan de campagne du RCD pour des législatives au début des années 90. Le parti de Saïd Sadi promettait, s´il montait au pouvoir, de faire aimer l´Algérie aux jeunes, pour qu´ils n´aient plus envie d´aller au Canada ou en Australie. Plus de dix ans après, on ne sait pas si le RCD aurait tenu ses promesses, mais les jeunes Algériens sont toujours dans la même galère, parce que nous vivons dans un pays à deux vitesses. Les riches et les pistonnés vivent dans un univers à part, et les pauvres, eux, ne vivent que par la dérision et l´humour. C´est leur arme favorite pour cacher leur dépit.