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Tension France-Algérie 2024 : que signifie-t-elle ?

De prime abord, la tension France-Algérie 2024 n'a pas lieu de surprendre parce que de tout temps les relations entre États sont travaillées par des heurts et des rapports de force liés à des intérêts divers. Pourtant, concernant ces deux pays, la relation est spéciale en raison de sa profondeur historique. De fait, elle s'est nouée lors d'un tête-à-tête terrifiant du temps colonial suivi après 1962 du temps post-colonial où elle subit les contrecoups d'évènements survenus en 1975 au Sahara occidental, ainsi que d'une double réalité:
1- un contentieux mémoriel qui fait la part belle aux dimensions affectives au détriment de la raison qui ne peut plus dire objectivement son mot;
2- un enchaînement des occasions manquées de se comprendre. À considérer en effet le cheminement du «dipôle» France-Algérie depuis au moins les années 1930, on est persuadé de son orientation vers une rupture. C'est d'autant plus évident que personne ou presque en France n'a jamais contesté l'idée toute faite que «l'Algérie est française, que ses trois départements sont français, et qu'il n'y a rien à craindre pour l'avenir». (P. Bourdel, 1996). Aussi, ni le projet de réformes dit Blum-Violette (1936), ni même le Manifeste du modéré Ferhat Abbas (1943) n'ont abouti. À peine si les promesses faites à Constantine par De Gaulle en 1943 ont donné lieu à l'octroi de la citoyenneté française à un nombre très réduit d'indigènes (ordonnances de 1944). Si les massacres du 8 mai 1945 ont débouché sur un simulacre de réforme avec le statut de 1947, ils ont induit en revanche une position plus exigeante des Algériens via la création de l'UDMA par Ferhat Abbas (mars 1946) et du MTLD par Messali Hadj (octobre 1946), ainsi qu'une ébauche de l'action armée avec l'apparition de l'OS (1947). La crise de confiance ayant atteint son paroxysme en 1948 avec le trucage massif des élections dû au narcissisme et au manque de lucidité du lobby colonial, la rupture devient désormais inéluctable. À partir de 1954, un autre chapitre de la relation algéro-française s'ouvre alors dans un climat de violence inouïe qui met à l'épreuve la capacité d'anticipation des gouvernants. Or, ces derniers peinent à prendre un recul critique face à l'obstination des colons, ni même à faire cas des avis éclairés d'intellectuels tels Albert Camus ou François Mauriac qui, dès 1956, ne se résignent pas à «voir la terre d'Algérie devenir pour longtemps la terre du malheur et de la haine». Ils réagissent donc par l'envoi en Algérie de 100 000 soldats entre février 1955 et février 1956. Pour autant, Guy Mollet nommé à la tête du gouvernement en janvier 1956 déclare vouloir mettre un terme à une «guerre imbécile et sans issue». Mais le lobby des colons réussit à le faire plier lors d'une manifestation dirigée contre lui le jour de sa visite à Alger (6 février 1956). Parmi les agitateurs figurent Alain de Sérigny, directeur de l'Écho d'Alger; A. Froger, président de la fédération des maires; J. Ortiz, commerçant; R. Martel, propriétaire de la ferme où sera assassiné Ben M'hidi. À partir de cette date, les évènements s'accélèrent: vote des pouvoirs spéciaux au gouvernement (12-3-1956), dévolution au général Massu de la responsabilité de mener une guerre totale dans l'algérois (8-1-1957), retour au pouvoir de Charles de Gaulle (1958) et indépendance de l'Algérie (1962). Mais cette indépendance, insupportable pour le courant réactionnaire, exacerbe sa crispation et avive une algérophobie latente dont la virulence repart de plus belle lors des années 2010. Quoi qu'il en soit, ce détour inévitable par le temps colonial n'éclaire pas tout. Car le récit historique ne répond pas de façon précise à la question de savoir pourquoi le gouvernement français de 2024 décide-t-il d'avaliser le remembrement cadastral qui s'opère au Maghreb en se recentrant carrément sur un pays voisin. Ce qui est évident est que cela intervient alors que la France fait face à des difficultés considérables. En interne, les chiffres publiés indiquent que son budget et sa balance commerciale sont déficitaires, sa dette démesurée tandis que sa compétitivité mondiale est en recul (de la 15e place en 2019 à la 19e place en 2023). En externe, son influence s'affaiblit en Méditerranée, au Maghreb et en Afrique. Ici ou là, sa présence est contestée quand elle ne s'entrechoque pas avec des concurrents de l'UE, la Chine, la Russie, la Turquie et les USA. Ces derniers qui ont des points d'appui au Ghana, Nigeria, Afrique du Sud, Ouganda, entreprennent ouvertement de contrôler l'Afrique où la France perd du terrain; et ce en créant dès 2007 l'Africom et une base navale à Djibouti. S'agissant de l'UPM initiée en 2008 par Sarkozy, la France n'y exerce aucun contrôle. Autant dire qu'étant «à mi-chemin entre grandeur et déclin» (P. Gauchon, 2013), cette «grande puissance moyenne» (dixit Giscard) talonnée de partout, semble en quête d'une nouvelle stratégie de puissance via un recentrage sur des pays où sa liberté d'action serait moins limitée qu'en Algérie où les plaies sont encore béantes. Alors que peut signifier pour le Président algérien la tension actuelle? Probablement de tirer parti de son expérience pour remiser maintes certitudes au vu des recompositions géopolitiques et des enjeux globaux de l'heure qui engagent à dresser un bilan de notre doctrine diplomatique et à la mettre à jour relativement aux intérêts vitaux du pays.


*Membre du Conseil de la nation

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