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Frantz Fanon : réminiscences de maquis et mémoire cicatrisée...

Frantz Fanon, Si Brahim, est venu de sa Martinique natale pour épouser la cause algérienne..

La premiere fois, c'etait un jour d'hiver, a Tunis, du côté de la rue des Entrepreneurs, un homme s'avance, il n'est pas de la meme «couleur» que ces réfugiés algeriens deja vus, masses dans les maquis autour de la base de l'Est, dans le nord-ouest de la Tunisie.
La discussion, entre adultes, passa par-dessus la tete du gamin que j'etais et qui servait souvent de couverture a un pere qui se fondait corps et ame (avec ses trois freres) dans la Guerre de liberation nationale. Le seul à rester au village d'Aïn-Draham, pour coordonner les services sociaux, ses trois autres frères montèrent au maquis, seul le plus jeune ne vit pas l'indépendance, tombé au champ d'honneur aux côtés du colonel Amirouche et du colonel El-Haouès, le 29 mars 1959, à Djebel Tsameur (Bousâada). Il resta sans sépulture, à ce jour... Mais ca, c'est une autre histoire...
Responsable du service social de toute la region frontaliere du Nord-Ouest tunisien, mon pere reconnaîra qu'avec l'arrivee de Fanon a Tunis, au GPRA, il avait eu moins de mal a enroler, parmi les refugies algeriens, ceux qui etaient aptes a porter les armes, mais qui etaient, à cause sans doute de leur très jeune âge «un peu» reticents a franchir le pas: «Il suffisait alors de leur parler de Fanon, Si Brahim et de l'engagement de cet homme venu de sa Martinique natale pour épouser la cause algérienne...»
La seconde fois donc, ce fut en decembre 1961, habille comme pour une ceremonie (en scout!), j'accompagnai mon pere au PC de la base de l'Est. Tout a ma joie de revoir ces maquisards avec lesquels je passais le plus clair de mon temps durant les vacances... Pour l'anecdote, c'est dans ce maquis que je découvris le plus beau des ciné-clubs - sous une constellation d'étoiles - dont la fréquentation suivra la courbe des (bonnes) notes à l'école du village...
Ce matin de décembre, donc, les parents avaient la mine des graves jours, avec une ombre de tristesse persistante sur le visage. «Si Brahim va etre enterre au pays!»
Ma mère finissait de repasser le drapeau algérien, le premier hissé en Tunisie et qu'elle avait cousu de ses mains, lorsque mon père glissa dans un cartable, un paquet de portraits en noir et blanc, de ce monsieur repere a Tunis, l'annee precedente. Tels furent les seuls et ultimes contacts avec Frantz Fanon, alias Si Brahim.
La depouille de l'ancien psychiatre de Blida arriva dans ce maquis de chene-liège, les djounoud en treillis, visages fermés avec leurs armes et les rares civils presents essuyaient des larmes qui semblaient alors, avoir le droit, ce jour-là, de couler discretement. Bien evidemment, notre «escorte» ne fit pas un long trajet. Dans le milieu de la nuit, une halte fut observée et c'est sans doute la que le contact («al-itissal») eut lieu avec les djounoud de l'interieur.
Trois années plus tard, à l'occasion du retour definitif en Algerie (rompant avec un exil familial, remontant à 1871), la première visite de mon père aura ete pour ce lieu-dit Aïn El-Kerma, la ou Franz Fanon avait ete enterre en 1961.
C'est dire combien il etait reconnaissant a Fanon! Jusqu'au dernier souffle...
Depuis, Fanon a accompagne une passion que la pratique journalistique ne cessera d'approfondir. Surtout lors des reportages en Afrique australe ou Fanon revenait, en tant qu'Algerien, dans les discussions informelles, en marge des interviewes, surtout avec les anciens combattants du Frelimo mozambicain, du MPLA a Luanda, de la Zapu a Harare. C'est à se demander meme si l'esprit de Fanon n'a pas facilite encore plus les choses a Monrovia, face a un Samuel Doe, derriere son impressionnant bureau présidentiel, recouvert de galets et d'autres eclats de minerais, qui se mit en tete de me lire des extraits des Damnes de la terre parce que j'etais... d'Algerie (sic)! Afrique des paradoxes! Et il tenait ce soir d'été libérien a dire a un compatriote de Fanon son admiration pour l'homme emblematique de la conscientisation du tiers-monde!
Mais pas seulement! Sartre n'ecrivait-il pas dans la preface des Damnes de la terre: «Europeens, ouvrez ce livre, entrez-y (...) Ayez le courage de le lire (...) Vous trouverez que Fanon est le premier depuis Engels a remettre en lumiere l'accoucheuse de l'histoire.» Cette oeuvre-phare consideree par les Black Panthers de... «Bible of Decolonization»!
Pour eux aussi, Fanon est mort trop tot, mais Aime Cesaire aura suffisamment vecu pour inciter, a travers son oeuvre foisonnante, a revisiter Peaux noires, masques blancs. Il faut (re)lire de Cesaire: Et les chiens se taisaient!:
«- Le rebelle: Mon nom: offense; mon prenom: humilie; mon etat: revolte; mon age: l'age de pierre.
- La mere: Ma race: la race humaine. Ma religion: la fraternite. - Le rebelle: Ma race: la race tombee. Ma religion... mais ce n'est pas vous qui la preparerez avec votre desarmement... C'est moi avec ma revolte et mes pauvres poings serres et ma tete hirsute.»
Aime Cesaire qui disait de Fanon: «C'est un Paraclet. Il y a des vies qui constituent des appels a vivre.» Mais il ne faut pas non plus occulter le fait que l'oeuvre de Frantz Fanon est longtemps restée sous le panoptisme d'une «caste» de theoriciens qui se sont eriges (pourtant) en specialistes de la «question fanonienne». A partir de traductions approximatives de ses travaux. Étrange que ce genre de parentele n'ait pas ete examine au detour d'un colloque, histoire d'en verifier la plausibilite. Car reduire Fanon a une seule... couleur serait, a plus d'un titre, reducteur. Certes, sa condition d'Antillais y est pour beaucoup dans sa demarche, de ce qu'il appellera «l'experience vecue du Noir», mais elle n'en restera pas longtemps l'axe essentiel.: «Ma vie ne doit pas etre consacree a faire le bilan des valeurs negres.» Il le dira clairement, et plus explicitement: «Le Negre n'existe pas. Pas plus que l'homme blanc.» La negritude s'apparente finalement a une incorporation du stereotype, meme inverse: «Faire le negre», c'est a la fois le jouer et le fabriquer. Si les traits infamants sont re-signifies, re-valorises, il n'en demeure pas moins que les contours de cette identite ont ete traces par les dominants. Cette identité qui a été estampillée «indigène», durant la longue nuit coloniale.
C'est dans cette optique qu'il faudra enchâsser le propos de Abdelmadjid Tebboune, émis à l'occasion de la Journée de la mémoire, le 8 mais dernier: «Le dossier de la mémoire ne saurait faire l'objet de concessions, ni de compromis et restera au coeur de nos préoccupations jusqu'à son traitement objectif, audacieux et équitable envers la vérité historique.» Il ne s'agit donc pas de revanche à prendre, quand l'Histoire a reconnu la justesse de votre cause, mais de dégager le ciel des nuages qui pourraient obstruer sa vision d'avenir. Il s'agit donc de faire montre d'audace pour se retrouver autour d'un projet de développement gagnant-gagnant. Où seul l'humain sera au centre des enjeux.
«Plus sûrement, depuis qu'elle a été inventée il y a 2500 ans, l'Histoire a pour vocation de nous aider à comprendre les ressorts de nos sociétés (...) Pour toutes ces raisons, l'Histoire est indispensable pour former des citoyens et des gouvernants lucides», relèvera André Larané, le fondateur du cercle Hérodote, dédié à l'Histoire universelle. Ne manquant pas de citer au passage la philosophe Hannah Arendt, qui aimait répéter, que «la principale mission de l'école consiste à apprendre aux enfants que le monde est plus vieux qu'eux! Ainsi saisiront-ils tout ce qu'ils doivent à leurs aïeux et pourront-ils s'inscrire eux-mêmes dans la chaîne des générations...»
On croit savoir que les représentations diplomatiques à l'étranger ont été instruites afin de réactualiser, dans les mois à venir, la liste des Amis de l'Algérie, ceux qui ont pris fait et cause pour l'indépendance de l'Algérie.
On se souviendra toujours de cette apostrophe, en juin 2000, du chef du réseau des Porteurs de valises, Francis Jeanson: «Mais qu'est-ce que tu connais, toi, de la France si ce n'est Bugeaud et Bigeard... Je voudrais que tu retiennes que mes camarades et moi n'avons fait que notre devoir, car nous sommes l'autre face de la France. Nous sommes l'honneur de la France.»
Et Jeanson de retourner la lame dans la blessure coloniale: «Avant de s'indigner des atrocités commises en Algérie, il faut se demander pourquoi nous avons fait la guerre au peuple algérien et pourquoi nous avons laissé faire des choses qui n'avaient pas de raison d'être. (...) Mais je ne comprends pas qu'on pose aujourd'hui la question de la torture sans poser la question de la guerre coloniale. Ce sont deux questions indissociables. On semble dire que, si la guerre avait pu se passer de la torture, elle aurait été justifiée. Pour moi, c'est le contraire. La torture ne pouvait être qu'un des aspects déchirants de cette situation.(...) Il y avait aussi les viols, les camps de concentration qui faisaient partie de la guerre au même titre que la torture. Ce qui compte, à mes yeux, c'est que nous avons mené une politique de colonisation insoutenable.»
Les idées de Fanon ont fait florès, et le recouvrement de la mémoire se poursuit plus que jamais dans cette Algérie de 2024! Aïn El-Kerma peut etre fiere d'avoir pour ange gardien un homme qui s'appelle Frantz Fanon, Si Brahim.

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