L'Expression

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«L'EXAMINITE»

Une maladie scolaire francophone

Henri Piéron (docimologue -au sujet de l'objectivité des examens scolaires à la française): «Pour connaître sa note vaut mieux connaître l'examinateur qui corrige la copie.»



(Première partie)
Héritier du système scolaire de la France coloniale, le système scolaire algérien n'arrive pas à se débarrasser de certains aspects négatifs de l'école française dans sa version ancienne. Parmi ces aspects négatifs, nous citerons cette spécialité exclusivement «made in France» que sont les examens-filtre et le contrôle-sanction des connaissances - dont le baccalauréat est le symbole. C'est donc à l'aune d'une lecture historique de cet examen typiquement français (et francophone) que nous allons parler du bac algérien.
Avec le brevet et la 5°AP - malheureusement réintroduits à des fins de sanction-filtre - le bac est le signe évident d'une contradiction de taille qui mine la réforme de l'école algérienne.
- Nous avons, d'un côté, un nouveau paradigme en vogue dans les discours théoriques inaugurés en 2003 par la réforme: celui de l'apprentissage (et non plus celui de l'enseignement). Il est censé mettre l'élève au coeur du dispositif pédagogique en tant qu'acteur actif de son éducation. Ce paradigme postule une nouvelle approche de la pédagogie scolaire (programmes, méthodes, vie scolaire, évaluation) soutenue par une évaluation formative et formatrice qui postule la fin du trio infernal «bachotage du prof/ parcoeurisme de l'élève-contrôle de restitution». Ou l'école de l'excellence pour tous. Or l'excellence n'est pas évaluable de manière uniforme: à chacun son excellence selon ses prédispositions naturelles, ses penchants,.......et sa prise en charge éducative par l'institution.
Ce n'est pas un concept sélectif. L'excellence scolaire a pour préalables, et le respect de cette hétérogénéité (individualiser l'acte d'enseigner) et l'équité dans la prise en charge éducative (égalité des chances + égalité des moyens).
- Quant à l'autre volet de la contradiction, il réside dans la pratique scolaire quotidienne: un système de contrôle-sanction des connaissances qui est l'émanation de l'enseignement traditionnel basé sur «le bachotage-mémorisation».
Ou quand la note devient, pour l'élève, le salaire de la peur et l'école, une jungle où tous les coups sont «permis» pour arriver le premier.

La note et ses dérives
La thématique de l'examen du baccalauréat - ainsi que des autres examens de fin de cycle - s'inscrit dans une problématique plus large, irriguée - entre autres - par un concept - clé: l'évaluation du travail des élèves. Cette dernière, malheureusement confondue avec le contrôle des connaissances mémorisées, est la seule raison d'être de nos élèves, à l'instar de leurs aînés. Pour l'élève ou l'étudiant algérien, aller à l'école ou à l'université c'est seulement pour décrocher de bonnes notes. La note, une obsession partagée conjointement par les parents, les enseignants, les élèves et l'administration! Une obsession tellement aveuglante, au point où l'élève, du primaire au lycée (voire à l'université), ne prend pas conscience des exigences et des objectifs éducatifs des apprentissages que l'institution lui dispense. Seule la note compte pour lui. Il ne saisit pas le sens et l'utilité de sa présence à l'école. Ainsi, il développera une relation purement commerciale avec le savoir scolaire. Comme l'atteste le rejet des disciplines considérées mineures, ne pesant pas lourd dans la moyenne générale. Le statut de l'EPS et de l'éducation artistique est fort éloquent. Dans nos établissements scolaires, les élèves ne font plus (ou très peu) d'activités sportives et encore moins artistiques ou culturelles d'une manière générale. Ils pensent que ce serait perdre son temps que d'en faire. Cet état d'esprit est partagé - s'il n'est pas suscité - par son entourage éducatif et par l'institution elle-même qui dévalorise ces deux disciplines majeures. Dans cette course sans retenue à la bonne note, l'élève est encouragé par des attitudes d'adultes. Certains sont mal intentionnés. Des marchands de gadgets technologiques proposent des idées noires pour la triche. D'autres, les maquignons des cours payants ou de livres parascolaires, l'encombrent de notions et de connaissances frelatées lui occasionnant, parfois, l'overdose et le surmenage. Enfin, une catégorie de profanes qui par leur méconnaissance des arcanes du système scolaire desservent l'élève plus qu'ils ne le servent. Dans cette dernière catégorie nous retrouvons les parents qui adhérent à cette relation commerciale qu'a l'élève face au savoir scolaire. Des parents acceptent que leur enfant, fils ou fille, triche pour décrocher son examen ou pour passer en classe supérieure. Nous sommes loin des professions de foi d'une institution qui affiche, dans ses finalités éducatives, l'épanouissement global de la personnalité des élèves, tant intellectuelle que physique ou morales. D'où des questions qui cassent des idées reçues voire des tabous. Cet examen - mais aussi la sixième et le brevet - dans sa forme actuelle (mais ancienne) est -il compatible avec l'évaluation pédagogique au sens moderne du terme, laquelle sollicite les fonctions intellectuelles supérieures (la compréhension, l'analyse, la synthèse, l'esprit critique)? Doit - il demeurer l'unique étalon de la réussite et l'unique voie d'accès à l'université - reléguant, ainsi, dans la marginalisation/dévalorisation la voie professionnelle? Pour répondre à ces questions il y a lieu de revenir aux sources originelles du baccalauréat, aux objectifs qui lui étaient assignés à sa création.
Dans l'Antiquité, les premiers au monde à avoir institué les examens sont les militaires chinois, 3000 ans avant J- C. Ils cherchaient à classer, trier et sélectionner leurs soldats. Au Moyen - âge, les Jésuites ont mis en place l'ancêtre du système de contrôle des connaissances. Ils adoptèrent le système dit des compositions (le terme perdure de nos jours) afin de s'assurer de la mémorisation par les disciples des textes religieux, dont les Evangiles, qu'il fallait apprendre par coeur. L'équivalent de la pédagogie utilisée dans nos «zaouïas» et nos écoles coraniques. En 1806, Napoléon Bonaparte crée le baccalauréat des lycées. Par la suite vint le baccalauréat de l'école primaire (et oui, il a existé!). A l'origine, l'objectif principal de cet examen était d'ordre purement idéologique.

L'empreinte de Napoléon 1er
L'empereur, qui aimait dire «je préfère affronter un bataillon de soldats que de passer mon certificat d'études», voulait sassurer de la maîtrise de la langue française par les écoliers et les futurs étudiants et leur bonne connaissance de l'Histoire (officielle) de France. Il s'attelait à vouloir construire la Nation française, par l'unification linguistique et culturelle des différents peuples qui vivaient dans des régions que la France venait (ou allait) de conquérir (la Corse, la Bretagne, la Savoie, l'Alsace,....). Pour lui cela devait passer par la pratique d'une seule langue et la mémorisation d'une même Histoire - l'officielle. De nos jours, la France actuelle étant une mosaïque de peuples différents qui se sont fondus dans le creuset de la République et de la citoyenneté.
Jusqu'à la deuxième moitié du XX° siècle, il était interdit aux enfants issus de ces régions de parler leur langue maternelle, y compris dans la cour de récréation. Ils en étaient punis. Cette machine jacobine d'uniformisation par le centre a fini par craquer.
L'Histoire de France officielle est remise en cause, de même les langues maternelles (dites régionales) reviennent en force dans les établissements scolaires. En Bretagne, des écoles enseignent toutes les matières en breton. Elles décrochent d'excellents résultats aux évaluations nationales. Un pied de nez aux ultranationalistes, partisans de la langue officielle et nationale, seule et unique. Pour rappel, au début de l'avènement de l'école universelle, vers la fin du XIX° siècle, l'instruction publique était gérée par l'Eglise - jusqu'en 1905. A partir de cette date, une loi allait codifier la séparation de l'Etat et de l'Eglise. Avant l'adoption de cette loi, l'institution religieuse imprimait sa marque aux programmes, manuels, méthodes et choix des enseignants. Par la suite, le pouvoir bourgeois - à l'instar de celui de l'aristocratie du siècle précédent - utilisa le contrôle des connaissances (concept différent de l'évaluation), comme machine à trier les élèves et asseoir le filtre reproducteur de l'élite (Pierre Bourdieu). Au fils de bourgeois, l'université et les Grandes Ecoles; au fils du pauvre, le certificat d'études et à la limite, le brevet.
De nos jours, cet apartheid scolaire a disparu dans sa forme crue, mais il est toujours présent, dans une forme plus sournoise. On parle d'un réseau de 400 écoles primaires et maternelles qui alimentent les Classes préparatoires aux Grandes Ecoles, des Grands lycées des villes huppées. Dorénavant, l'université publique est ouverte aux enfants du peuple pour décrocher le passeport qui mène au...chômage.
Lisons cette instruction ministérielle datant de la fin du XIX° siècle: «(.)apprendre aux enfants d'ouvriers et de paysans les rudiments du savoir scolaire afin qu'ils puissent aider leurs parents dans les travaux de la ferme ou en atelier.» Elle est toujours d'actualité malgré la «discrimination positive» filtrant l'accès des enfants des banlieues aux Grandes Ecoles. Outil de sélection et de reproduction de l'élite aristocratique, puis bourgeoise, le bac et les autres examens de l'époque, de par la nature des épreuves, étaient l'émanation de la logique scolaire. Une logique dictée par les finalités politiques assignées à l'Ecole et matérialisées par un dispositif pédagogique approprié, à savoir un enseignement livresque (encyclopédisme) axé sur les codes culturels de la bourgeoise, des méthodes dogmatiques qui favorisaient le bachotage et le «parcoeurisme». Ce dispositif était ponctué par le contrôle des connaissances qui exigeait de l'élève leur fidèle restitution: mémorisation de leçons, montage d'automatismes en maths, physique, sciences. En France, le bac était- et il l'est toujours - le dernier obstacle avant l'entrée à l'université. Au préalable, le filtre de l'Ecole «trieuse» avait institué pas moins de six examens-obstacles. Au début des années 1960, conscients des inconvénients des examens, le pouvoir politique - sous la pression des pédagogues progressistes, des organismes nationaux et internationaux - a fini par revoir sa copie. Mai 1968 sonnait le glas du mandarinat à l'université et de l'arbitraire des examens-filtres. Toutefois, demeurait le mythique baccalauréat qui sera réformé à plusieurs reprises sans pour autant disparaître dans sa formule originelle (seul et unique accès à l'université - quoique!). Malgré son maintien, la France caracole en queue de peloton des pays développés dans les classements internationaux en matière d'efficience scolaire (Pisa). Depuis une trentaine d'années, chaque ministre de gauche ou de droite, qui se succède au ministère français de l'Education nationale, tente de supprimer le bac dans sa version napoléonienne pour adopter le modèle d'évaluation continue, une spécialité anglo-saxonne. En vain! Une opposition farouche se manifeste à chaque fois. Et - comble du paradoxe! - ce sont les couches populaires qui refusent la suppression de cet examen. Toutes les autres catégories socioculturelles (cadres moyens, cadres supérieurs, bourgeoisie) et tous les partis politiques sont acquis à cette suppression.

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