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Retour des menaces de destruction mutuelle entre Washington et Moscou

L’équilibre de la terreur

Le 24 février 2022, Moscou lance son «opération spéciale» en Ukraine et fait basculer l'Europe dans une crise comme le Vieux Continent n'en a plus connu depuis 1945. Trois jours plus tard, réagissant aux «déclarations belliqueuses de l'Otan», le président Poutine ordonne de mettre les «forces de dissuasion de l'armée russe en régime spécial d'alerte au combat.» Ceci fut considéré par les observateurs occidentaux comme une escalade dans le conflit ukrainien. Il y en aura d'autres comme la mobilisation de 300 000 réservistes ou le référendum dans les Républiques populaires de Louhansk et de Donestk et les oblasts de Kherson et de Zaporijjia.

Dans cette situation dramatique, l'arme nucléaire était de plus en plus évoquée. Début octobre 2022, dans une interview largement médiatisée, le président américain met fermement en garde son homologue russe contre une éventuelle utilisation de cette arme et parle se risque d'«apocalypse». Ceci indique que la peur du nucléaire, palpable depuis quelques mois, s'est définitivement installée dans les esprits. Lors de la crise des missiles de Cuba, en 1962, le téléphone rouge, qui est en fait un téléscripteur, a fini par fonctionner entre John F. Kennedy et Nikita Khrouchtchev, évitant de justesse au monde une catastrophe nucléaire. Il est hasardeux de dire aujourd'hui quand et s'il fonctionnera de nouveau. En effet, les relations ne font que s'exacerber entre Moscou et Washington soutenu par ses alliés occidentaux. En octobre 2022, après les mises en garde du président Biden sur un éventuel emploi de l'arme nucléaire, le président Poutine a supervisé un entraînement préalablement annoncé des forces de dissuasion dans un contexte marqué par des accusations contre Kiev qui préparerait une «bombe sale». Cette énième escalade du conflit ukrainien est intervenue alors que les Occidentaux insistaient depuis quelque temps sur les déboires de l'armée russe en Ukraine. Ce qui rendrait, à leurs yeux, plus envisageable le recours à l'arme nucléaire par la Russie.
La déconstruction de l'architecture du désarmement
La dissuasion est une stratégie militaire consistant à «menacer de recourir à la force afin de décourager un adversaire d'entreprendre une action indésirable». Cet équilibre de la terreur est basé sur la menace de la destruction mutuelle assurée plus connue sous le sigle anglais MAD qui veut dire fou (Mutual Assured Destruction). Pour que la dissuasion fonctionne, Moscou et Washington doivent maintenir une parité stratégique censée être garantie par les accords de désarmement bilatéraux, qui ont le plus contribué à la réduction des arsenaux américano-russes, (aussi bien que par les accords multilatéraux qui ne sont pas abordés dans ce papier). Or, la déconstruction de l'architecture bilatérale du désarmement a commencé en 2002:
le premier instrument sacrifié fut le traité ABM qui avait contribué à maintenir pendant une trentaine d'années la validité de la dissuasion nucléaire. Avançant cet argument, le président Poutine avait demandé au président Bush de ne pas le dénoncer. Prétextant les changements intervenus dans le monde et l'apparition de nouvelles menaces (attentats du 11/09/2001), ce dernier passa outre, avec effet le 13 juin 2002, ouvrant ainsi une voie royale à la course aux armements.
Le deuxième instrument important à être dénoncé par les Etats-Unis fut le traité FNI qui a permis d'éliminer une catégorie de missiles de portée intermédiaire pouvant emporter des charges nucléaires ou conventionnelles, constituant une menace pour la sécurité euro-atlantique. Depuis l'administration Obama, Washington accusait Moscou de violer ce traité. En fait, c'est la «démocratisation» et la modernisation des technologies des missiles ainsi que leur dissémination, principalement en Asie, qui inquiète les Etats-Unis dans la mesure où certains pays (Chine et Iran principalement, mais aussi Inde, Pakistan, les deux Corées) peuvent désormais frapper des cibles en Europe avec plus de précision et des charges conventionnelles aussi dévastatrices que certaines armes nucléaires. S'agissant de la Chine, ce pays est devenu une puissance nucléaire dotée d'un important arsenal de missiles de portée intermédiaire qui constitue une menace pour les alliés de Washington en Asie. En 2.020, le président Trump a retiré les Etats-Unis du traité INF. Le président Poutine a fait de même. La fin de cet important instrument relance la course aux armements. On a prêté déjà aux Etats-Unis l'intention de déployer des missiles (conventionnels?) en Europe. Mais aussi en Asie pour contrer la montée en puissance de la Chine qui a rejeté la proposition des Etats-Unis de la voir adhérer à un nouveau FNI.
Le président Trump a aussi retiré les Etats-Unis du traité ciel ouvert (Open Skies) en mai 2020, avec effet six mois plus tard. Ce que fera aussi le président Poutine en juin 2021. Signé à Helsinki en mars 1992, le traité ciel ouvert permettait à chacun des 35 Etats membres d'effectuer des vols de surveillance non armés sur la totalité des territoires des autres parties pour collecter des informations sur les forces et activités militaires. La décision du président Trump a privé essentiellement les Etats-Unis et la Russie d'une importante mesure de confiance et de transparence.
The New Start
Ce traité de désarmement, entré en vigueur le 5 février 2011 pour une durée de dix ans, a longtemps laissé planer le doute sur sa prolongation. Le président Trump avait proposé une année pour se donner le temps de conclure un accord plus global incluant la Chine, une approche aussitôt rejetée par Moscou et Pékin. À deux jours de son expiration, le président Joe Biden a fini par accepter discrètement sa prolongation jusqu'au 5 février 2026, dans un contexte marqué par une détérioration continue des relatons entre les Etats-Unis et la Russie qui ne donnent aucun signe d'amélioration. Actuellement le New Start est le seul instrument juridique en matière de désarmement qui reste en vigueur entre les deux principales puissances nucléaires. Les réductions des stocks nucléaires qu'envisageaient les présidents Obama et Poutine relèvent actuellement de l'utopie.
Dans les années 1990, les relations entre Washington et Moscou ne semblaient pas promises au désastre qu'elles connaissent actuellement, surtout depuis le début de la crise ukrainienne. À cette époque, la question de l'adhésion de la Russie à l'Otan a même été longtemps discutée.
En 1991, les deux parties établirent un Conseil de partenariat euro-atlantique. En 1994, elles firent un pas de plus en concluant un Partenariat pour la paix. Cette volonté de coopération fut consolidée en mai 1997 lorsqu'elles signèrent l'Acte fondateur sur les relations, la coopération et la sécurité mutuelles, dans l'objectif de mettre définitivement fin à la guerre froide et de ne plus se comporter en ennemis, mais en partenaires. Il fut institué un Conseil conjoint permanent (CCP) qui se réunissait en format bilatéral Otan - Russie.
En 2000, après son arrivée au pouvoir, le Président Poutine a établi de bonnes relations avec son homologue américain, Bill Clinton, puis avec son successeur, Bush fils. Un rapprochement s'opéra entre Washington et Moscou après les attentats du 11 septembre 2001. Cette embellie relative fut entachée par la dénonciation unilatérale du traité ABM par le président Bush qui ignora les protestations du président Poutine lequel considérait ce traité comme la pierre angulaire de la stabilité stratégique.
L'évolution des relations Otan-Russie
En mai 2002, le CCP est remplacé par le Conseil Otan-Russie (COR). Ceci constitua une autre avancée en ce sens que le format bilatéral fut abandonné, chacun des Alliés et la Russie siégeant désormais en partenaires égaux. Conçu comme un mécanisme de consultation et de prise de décision en vue d'agir conjointement sur des questions de sécurité d'intérêt commun, le COR se penche sur des domaines de coopération, notamment le désarmement, la lutte contre le terrorisme, le maintien de la paix. Par ailleurs l'Alliance atlantique donna des garanties sécuritaires à la Russie qui craignait l'extension de l'Otan vers l'Est. Pourtant, ceci finit par arriver et par envenimer les relations entre les deux parties.
La première crise entre l'Otan et la Russie eut lieu en 1999 lors de l'intervention occidentale au Kosovo et du bombardement de la Serbie. Elle fut rapidement dépassée.
L'expansion de l'Otan vers l'Est, régulièrement dénoncée par Moscou va détériorer sérieusement les relations entre les deux puissances. La Russie finit par passer à l'action lorsque l'Alliance atlantique a voulu s'étendre en Géorgie (patrie de Staline) et en Ukraine (berceau historique de la Russie). En 2008, après l'entrée des chars russes en Ossétie du sud (Géorgie), les réunions Otan-Russie furent suspendues. Ce fut le début d'une lente descente aux enfers qui connut plusieurs étapes dont les plus significatives sont l'annexion de la Crimée en 2014 (à cette date, la doctrine militaire russe a été révisée, faisant désormais de l'expansion de l'Otan vers l'Est la principales menace militaire contre la Russie) et l'intervention russe en Syrie, en 2015.
La Russie et ses 6 000 ogives
Depuis, le COR a tenu 11 réunions consacrées essentiellement à l'Ukraine, la dernière ayant eu lieu en janvier 2022 pour constater des désaccords profonds et persistants. Et depuis le 24 février 2022, les ponts sont coupés entre l'Est et l'Ouest pour employer la terminologie de la guerre froide. Au sommet de Madrid, en juin 2022, l'Alliance atlantique a adopté un concept stratégique qui ne considère plus la Russie comme une partenaire de l'Otan, mais comme une ennemie. Toute coopération militaire et civile est coupée entre les deux parties. L'Occident ne réagit plus qu'à coups de sanctions dans l'espoir de faire plier la Russie. Désormais, les seuls canaux de communication sont maintenus entre les militaires pour gérer et réduire les risques de dérapage pouvant provoquer une catastrophe nucléaire. Actuellement, les tensions sont à leur paroxysme et il est hasardeux de prévoir une prochaine sortie de crise.
Selon l'ONU, «aujourd'hui, l'humanité n'est qu'à un malentendu, une erreur de jugement de l'anéantissement nucléaire». Les directeurs du Bulletin of the Atomic Scientists de l'université de Chicago chargés de mettre à jour l'horloge de l'Apocalypse (Doomsday Clock) sont du même avis. Créée en 1947, alors que les Etats-Unis détenaient le monopole de l'arme atomique, cette horloge indiquait 7 minutes avant Minuit considéré comme l'heure fatidique de la fin du monde. Actuellement, elle n'est plus qu'à moins de 100 secondes.
En janvier 2002, l'arsenal nucléaire mondial est estimé à près de 13.000 ogives, y compris celles non déployées ou en attente de démantèlement, conformément aux accords de réduction Start. Plusieurs centaines sont en état d'alerte avancée, soit prêtes à être lancées en quelques minutes. La Russie, avec 6.000 ogives, et les Etats-Unis, avec 5.5 00 ogives, détiennent plus de 90% du total. Ces deux pays ont le pouvoir de détruire totalement la planète d'où l'inquiétude qu'ils suscitent quand leurs relations se détériorent profondément et durablement. La fable qui nous a été toujours servie par les Etats dotés de l'arme nucléaire, selon laquelle cette arme est une arme de non-emploi qui garantit la paix, a fait sont temps. Une guerre nucléaire est possible et envisageable. Une arme est fabriquée pour être utilisée et l'arme nucléaire ne fait pas exception à la règle. Elle l'a déjà été et a failli l'être à plusieurs reprises. Pour éviter toute tentation, il y a une seule solution, son abolition. Afin que l'humanité ne vive plus sur un volcan 

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