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Nacer Kettane, fondateur du réseau de radio Beur FM et du Think Tank HumaniV, à L'Expression

«L'Algérie et la France repartent du bon pied»

Comme de nombreux autres intellectuels, personnalités et hommes d'affaires de la diaspora algérienne, Nacer Kettane a fait partie de la délégation qui a accompagné le président Emmanuel Macron en Algérie. Médecin, écrivain, président fondateur du réseau de radio Beur FM, de la chaîne de télévision LCM (la chaîne Méditerranée), membre honoraire du Cese et secrétaire général, fondateur du Think Tank HumaniV, Kettane nous livre sa vision sur cette visite. Dans cet entretien, il a surtout voulu prendre la température de notre diaspora en France.

L'Expression: En tant que membre de la délégation accompagnant Emmanuel Macron, comment avez-vous accueilli le communiqué conjoint validé à l'issue de cette visite?

Nacer Kettane: «Avec une énorme satisfaction. Qu'un texte commun ait pu être validé par les deux chefs d'État est le signe évident d'une volonté commune d'avancer. Depuis l'indépendance, ce ne sont que des rendez-vous manqués. La personnalité des deux Présidents a fait que sur les différents sujets l'estime réciproque et le respect mutuel ont prévalu. Les deux Républiques algérienne et française, chacune souveraine dans son inspiration, ses motivations et ses décisions, se sont accordées pour un partenariat gagnant-gagnant fondé sur le respect des volontés émanant de leur peuple. À ce titre, l'accent mis sur la diaspora est historique et tranche avec le déni et le mépris dont elle a été victime jusque-là. Enfin, nous apparaissons à travers ce texte commun comme des acteurs à part entière, à même de contribuer au développement et au rayonnement de l'Algérie. Le communiqué prône aussi une réelle ouverture sur les mobilités pour les artistes, les étudiants, les chefs d'entreprise, les acteurs associatifs. À terme, la libre circulation, qui devrait être un droit inaliénable, devrait reléguer les visas au statut de vieux souvenir. Un Erasmus méditerranéen devant préfigurer l'émergence d'un passeport méditerranéen!

Le texte rappelle aussi la position africaine et méditerranéenne de l'Algérie.

Absolument! Ayant été pendant cinq ans le référent Méditerranée au Cese, j'ai appelé de mes voeux à la création d'une journée internationale de la Méditerranée, ce qui a été validé par 42 pays dont l'Algérie. Juste avant que l'épidémie de Covid ne paralyse la planète, nous avions élaboré, en concertation avec le CNS algérien, un document qui devait être «La Charte d'Alger pour la Méditerranée», où l'Algérie apparaissait comme incontournable et déterminante pour l'avenir de cette mer commune, berceau de l'humanité. En effet, l'Algérie recèle la quasi-totalité des trésors méditerranéens: la culture du blé, de l'olivier et de la vigne, les théâtres antiques, la musique, la mythologie. En outre, il ne faut jamais oublier que la Méditerranée ce sont d'abord des routes comme le décrit si bien Fernand Braudel. Aujourd'hui, les routes modernes sont celles de l'énergie, du gaz, de l'éolien, du solaire, du plancton et de l'hydrogène. Un florilège où l'Algérie coche toutes les cases. La Méditerranée, c'est aussi le mélange, la mixité, la mobilité. Pour s'en convaincre, il suffit de lire Salammbô de Gustave Flaubert, La mère du printemps de Driss Chraïbi ou encore, Le fleuve détourné de Rachid Mimouni. C'est pourquoi, le communiqué conjoint nous laisse espérer la reprise de ce chantier.

Sur les questions mémorielles, une commission mixte franco-algérienne devrait voir le jour. Votre réflexion à ce sujet...

Effectivement, c'est une très bonne chose. J'ose espérer que mes amis Benjamin Stora, pour la France et Amar Mohand Amar pour l'Algérie, seront retenus pour la coprésider. L'exigence et la rigueur dont ils font preuve dans leurs écrits, leurs recherches, leurs préconisations devraient générer de la sérénité. La décision d'ouvrir toutes les archives des deux côtés est une vraie avancée. Les deux pays le doivent à leur jeunesse. Le droit d'accès aux archives, garantie de la transparence permettra cette mise à plat tant attendue. Néanmoins, cela ne suffira pas, il faut convoquer tous les acteurs: témoins directs ou indirects qui, à leur façon, ont été aussi au rendez-vous de l'Histoire, qui est horizontale et non verticale. Les mémoires sont multiples. Elles sont croisées, opposées, partagées, disloquées; la tâche est ardue mais elle vaut le coup, c'est à ce seul prix que des relations apaisées et solides se mettront en place et forgeront les conditions d'un codéveloppement ambitieux.

Selon vous, quels ont été les moments forts de cette visite?

Il est délicat de répondre à une telle question car dans un événement de cette importance, le moindre geste, la moindre parole, sont épiés et revêtent un caractère considérable. Au-delà des gestes traditionnels comme le salut au drapeau ou le recueillement avec le dépôt de gerbe de fleurs à Makam Chahid, j'en retiendrai deux. Tout d'abord, la cérémonie et l'hommage qu'a rendu Emmanuel Macron à Bologhine au cimetière de Saint-Eugène. Dépôt de gerbes, l'honneur aux zouaves, la Marseillaise, le recueillement dans la synagogue et sur la tombe de Roger Hanin né Lévy. Au-delà de l'émotion, tous ces gestes à l'évidence suivis avec bienveillance par les autorités algériennes sont venus rappeler à tous ces morts que personne n'oublie leur part d'algérianité. Ensuite, je retiendrai aussi la volonté d'Emmanuel Macron de s'adresser aux acteurs culturels et aux jeunes.
Bardo à Alger, Santa Cruz à Oran et surtout, Disco Maghreb et Breakdance. Dans chacun de ses choix, loin d'être anodins, je peux témoigner d'un réel engouement de la jeunesse pour ces initiatives qu'il faudra renouveler à l'infini. À ce titre, les Jeux olympiques et paralympiques de Paris en 2024 devraient faire une large place à l'Algérie.

Un débat sur les langues, parfois biaisé, s'est installé depuis quelques mois en Algérie: enseignement de la langue anglaise, programmes scolaires. Quelle lecture en faites-vous?

Effectivement, et parfois avec de grosses doses d'irrationalité! Dans ce domaine comme dans d'autres, il faut savoir «raison garder»! De façon générale, une langue ou une religion n'est responsable de rien. Ce sont ceux qui la manipulent, l'instrumentalisent en voulant créer des éléments de conflit qui portent cette responsabilité. Ces gens-là prêchent dans le vide et ont souvent un train ou une guerre de retard. Même si la francophonie a reculé en Afrique du Nord, il n'en reste pas moins que la langue française demeure une langue internationale avec 700 millions de locuteurs à l'horizon 2050.
Une francophonie de la parabole, d'Internet, des réseaux sociaux; associés à une francophilie active permet à la langue française de rivaliser avec l'anglais. Concernant l'Algérie, il faut saluer les efforts et les initiatives de ces dernières années pour donner à tamazight et à la langue arabe une place centrale dans tous les domaines. Néanmoins, il ne faut pas installer un climat aux allures de «guerre des langues». La langue française n'est pas une ennemie, et qui plus est, n'appartient pas à la France. «Je n'accepte absolument pas que les Français considèrent que la langue française est leur propriété à eux.
La langue française est une création de l'homme, elle est une propriété de l'être humain dans la mesure où il la possède»; ainsi s'exprimait déjà Jean el- Mouhoub Amrouche, dans sa lutte acharnée contre le colonialisme et le racisme. Ainsi, de Jean el- Mouhoub Amrouche à Aimé Césaire, de Frantz Fanon à Édouard Glissant, de Kateb Yacine à Yasmina Khadra; tous revendiquent ce butin de guerre et en font un élément de combat de poésie, de pensée, de littérature, etc.
Je rappellerai que la déclaration du 1er Novembre 1954 a été rédigée en français, qu'El Moudjahid croisait le fer avec le verbe de Victor Hugo, que le Manifeste des 121 protestait dans la langue de Balzac, que les accords d'Évian furent rédigés dans la prose de Voltaire et de Rousseau, sans parler du Manifeste pour le triomphe des libertés démocratiques, du discours de Bandung et j'en passe. Oui, la langue française appartient à tous et peut servir toutes les causes démocratiques et anticolonialistes et demeure une clé importante pour le développement économique. Aujourd'hui, la diaspora algérienne estimée à plusieurs millions parle majoritairement le français.
Vouloir se couper de cette richesse, c'est vouloir s'amputer d'un bras ou d'une jambe. L'Algérie doit définitivement régler ces histoires qui plombent son développement. Aux côtés de tamazight et de la langue arabe, le français et l'anglais sont des atouts précieux pour affronter un monde en pleine ébullition et recomposition.

Vous connaissez bien les deux chefs d'État pour les avoir interviewés chacun plusieurs fois. Selon vous, quelles qualités ont présidé aux échanges?

Tout d'abord, l'estime qu'ils ont, chacun l'un de l'autre. Tous deux ont traversé des moments difficiles et des événements tumultueux.
Les deux sont ouverts au dialogue, enclins au compromis, voire au consensus. Je pense qu'ils tiendront leurs engagements tels qu'ils sont définis dans le communiqué conjoint. De plus, je ne serai pas étonné qu'Abdelmadjid Tebboune vienne à Paris en 2023, à l'invitation de son homologue français.

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