L'Expression

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UN AUTOMNE AU SOLEIL DE MOULOUD ACHOUR

Le souvenir de la libre écriture

Il n'ya guÈre de sujets qui soient aussi intéressants dans les domaines psychopédagogiques et... littéraires que, lorsque dans l'enfance studieuse, le rêve paraît telle une existence réelle.

L'enfant qui écrit est alors sur la «Planète Rêve». Alors, «Question»: d'où vient le goût d'écrire chez l'enfant, d'écrire librement? Pourquoi l'enfant joue, se demandaient les psychopédagogues, et pourquoi, devraient-ils ajouter, «l'enfant adore tout aussi bien dessiner et même écrire, - très souvent plutôt écrire''»? Le nouvel ouvrage Un Automne au soleil (*) de Mouloud Achour, nous ramène irrésistiblement à l'évidence de cette réalité.
Le jeu de mots et le texte libre Jean Château, célèbre professeur de psychologie français (1908-1990), évoquant dans son livre «L'Enfant et le jeu» et citant le professeur de philosophie français Alain, né Émile-Auguste Chartier, (1868-1951), soulignait: «Qui joue a juré.». Et justement dans son recueil de «textes libres» intitulé Un Automne au soleil, Mouloud Achour, non seulement le professeur de lettres, le journaliste qu'il fut, notamment à El Moudjahid,, l'écrivain qu'il est avec Le Survivant et autres nouvelles (1971), l'éditeur depuis plusieurs années à Casbah Éditions, donne à un de ces «textes d'inégale longueur abordant des centres d'intérêt variables», ce titre «À la vie, à la mort»: un jurement définitif d'une volonté active. Et là, de même, il s'agit de «vouloir agir puissamment» sur une nécessité fortement présente; en effet, précise l'auteur, à raison: «Les mots se perdent lorsque l'objet qu'ils désignent a cessé d'exister. Il suffit pour s'en convaincre de poser la question ´´qu'est-ce qu'un berger? ´´ à un écolier de ce village de montagne dont j'ai oublié le nom.» L'auteur, a-t-il vraiment oublié le nom de ce berger? Il s'en amuse par avance en plaçant en épigraphe, pour motiver le lecteur, cette réflexion extraite du poème «Un nom» d'Alphonse de Lamartine (1790-1869): «Il est un nom caché dans l'ombre de mon âme / Que j'y lis nuit et jour et qu'aucun oeil n'y voit.» Afin d'émouvoir un peu plus le lecteur, je reproduis le dernier quatrain de ce poème: «Oh! Dites-nous ce nom, ce nom qui fait qu'on aime; / Qui laisse sur la lèvre une saveur de miel! / Je l'emporte au tombeau pour m'embellir le ciel.» Mouloud Achour joue lui aussi de mots; il les inverse, les complète; il en fait un corps nouveau, presque avec une tête pleine d'esprit. Il s'en amuse et nous aussi, - qu'est-ce donc, par exemple, «Un automne... au soleil» (Texte central et titre du recueil), «L'éclaireur... égaré», «Les lendemains... passés», «Dialogue... nocturne»? Le jeu de mots anime tout le style d'écriture de l'auteur au soubassement poétiquement posé. Le lecteur se rappellera les autres titres des oeuvres de Mouloud Achour: Héliotropes; Les Dernières vendanges; Jours de tourments; À perte de mots; Le Vent du Nord; Juste derrière l'horizon; Le Retour au silence...
Quoi qu'il en soit, les textes que nous propose Mouloud Achour dans son recueil Un Automne au soleil, relèvent d'une technique de formation à l'expression écrite et elle a été couramment pratiquée autrefois, j'ose dire très autrefois, à l'école primaire, aussitôt que l'enfant a bien appris à lire et à construire des phrases. Cette séance bien emmenée, bien encadrée, bien dirigée, l'enfant est encouragé à s'exprimer, à écrire ce qu'il veut - rarement un thème lui est proposé, et surtout jamais imposé. L'enfant est libéré de toutes les contraintes psychologiques ou grammaticales sévères qui bloqueraient l'éveil souhaité de son esprit et par conséquent la mise en activité de son intelligence et de son imagination créative. Cette aventure de l'écriture a pour objet d'inciter l'enfant à s'exprimer sur un sujet de son choix, c'est le «Texte libre». Cette pédagogie donne de la confiance à l'enfant et lui apprend à structurer sa sensibilité, face à lui-même, face à son environnement, face à la vie tout court. C'est aussi un moyen, impeccable pour moderniser la pensée et la connaissance de la psychopédagogie de l'enfant. Aussi, insiste-t-on que le «texte libre» doit être vraiment libre et parfaitement motivé. L'enfant éprouve de très bonne heure le besoin d'écrire lui-même. C'est, alors qu'apparaît le premier texte libre ou la première lettre. L'enfant, muni de son stylobille, hésitant et tremblant entre ses doigts serrés, fort maladroitement, écrit ce qu'il a envie de dire à son maître, à sa maîtresse ou à ses camarades.
En somme le «texte libre» prépare aux grandes écritures de la pensée savante sous toutes ses formes et dans tous les genres.
L'écrivain Mouloud Achour a tenté cette gageure d'écrire à la manière de l'enfant qu'il fut tout en élevant le niveau d'écriture de ce «genre littéraire» que pourrait devenir «Le Texte Libre» de notre enfance... Quoi qu'il en soit, l'idée devrait être reprise par nos enseignants, et nous saurons ce que seront nos enfants à l'âge adulte. Peut-être. Incontestablement, avec les «Textes libres» de son recueil Un Automne au soleil, Mouloud Achour nous met, nous remet en face de vies différentes dans une actualité sans cesse brûlante, édifiante, déconcertante, et néanmoins éducative et instructive... En voici un exemple de «Texte libre», extrait du recueil Un Automne au soleil, titre étonnamment évocateur pour une âme vraiment lectrice.

«PETITES HISTOIRES DE MENDIANTS»
Il dut interrompre un instant sa réflexion. Dieu sait pourtant à quel point il tenait à ses moments privilégiés durant lesquels une plongée méditative en lui-même le soustrayait aux servitudes extérieures. On venait de frapper à la porte. Trois coups, très forts. Ce ne pouvait être la façon de frapper de son fils, envoyé aux commissions, et qui, du reste, n'aurait jamais pu être de retour aussi vite. Il attendit que sa femme allât ouvrir. On frappa de nouveau. Trop absorbée par le va et vient fastidieux et bruyant des chariots de sa machine à tricoter, elle n'avait certainement pas entendu les coups. Il avait horreur d'être dérangé ainsi et se leva de mauvaise grâce.
Un mendiant hirsute, dont il eut juste le temps de constater l'extrême dénuement et la carrure de docker, était accroupi sur le palier, tout contre le cadre de la porte. Il referma, le temps de ramasser quelques piécettes qui traînaient sur le haut du réfrigérateur. Se ravisant au moment d'ouvrir de nouveau, il se précipita dans la cuisine, coupa une baguette de pain et en prit la moitié.
Le mendiant jeta un bref regard sur la monnaie déposée sur sa paume puis:
- «Non, pas de pain, mon frère, je ne saurais qu'en faire... Mais n'aurais-tu pas une vieille chemise, une veste?». L'homme désignait les loques qui dissimulaient sommairement sa nudité.
- Allah inoub, petit père. De toute façon, mes habits ne t'iraient pas.»
Il n'attendit pas la réponse. Même pas la bénédiction d'usage. Le prix du pain, il en savait quelque chose. Cela datait du temps où le pain de boulanger était un luxe - lkhoubz ou roumi, le pain français -, où l'on n'utilisait pas des morceaux de mie pour torcher les fonds d'assiettes avant de les jeter à la poubelle.
Sa femme semblait ne s'être aperçue de rien. Elle continuait à s'affairer sur sa machine, s'ingéniant peut-être, une fois de plus, à expérimenter un nouveau point. Revenu s'installer derrière son bureau, il regagna les profondeurs de la page blanche. La phrase se refusait. Il balbutia enfin un début de naissance, se mit à louvoyer. Syllabe, mot, verbe, sujet, complément... C'était quelques jours plus tôt. Il avait certainement noté la date quelque part, suivie d'un bref résumé de l'événement. Il regagnait paisiblement la maison, ayant réussi à garer sa voiture sans avoir eu à tourner trop longtemps. Cartable à la main, il s'approcha, vaguement curieux, d'un petit attroupement qui s'était formé sur le trottoir. Quelques curieux paraissaient intéressés au plus haut point par le spectacle qu'offrait une vieille femme accroupie, dont le bras était engagé jusqu'à l'épaule dans les profondeurs d'un caniveau.
«Elle a, paraît-il, laissé tomber une pièce de cinq dinars, lui expliqua l'un des badauds.
- Ma dernière pièce, et je n'ai plus de quoi payer le bus jusqu'à Santoudji (Saint-Eugène, Bologhine), geignit la vieille en adressant au nouveau venu un regard à fendre l'âme.
Il mit la main à sa poche, en tira deux pièces d'un dinar, aida la vieille à se remettre debout et les lui offrit.
- Dieu te le rende, mon fils, multiplie le nombre de tes pareils et fasse que tes enfants...» Il n'écouta pas la suite, s'éloigna tandis que la vieille s'affairait à arranger son voile qui avait glissé et que les badauds se dispersaient. Quelques instants plus tard, il riait, riait à en perdre le souffle. Il venait de comprendre que la vieille dame lui avait extorqué deux dinars et qu'il n'avait pas plus été sa première victime qu'il ne risquait d'être la dernière. La mendiante animait la même scène devant le bureau tabac où il était allé acheter des cigarettes. Elle avait tout simplement changé de décor.
Il connaissait différentes façons, plus ou moins originales de forcer l'aumône, celle-là était assurément inédite.»

(*) Un automne au soleil de Mouloud Achour Casbah Éditions, Alger, 2016, 231 pages.

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